Tout va bien…

30 ans ! la galerie a 30 ans cette année.

Tout va bien !

Nous sommes parmi les tous premiers en France, et relativement substantiels dans le monde.

J’avais, avant de prendre la suite de mon Père, été le maitre d’ouvrage de l’installation de Christie’s en France en tant que maison de ventes. Avec succès !

Après Fiac et Tefaf, je siège désormais au comité de sélection d’Art Basel à Bâle.

Il m’arrive de m’engager pour représenter ce que je crois être les intérêts de ma profession.

J’ai diversifié les axes de communication d’Applicat en ouvrant aux sports équestres. Faute d’avoir pu y parvenir par moi-même, je suis champion de France de dressage par procuration, et ma jument est en partance pour les championnats du monde !

Nous préparons enfin pour octobre l’exposition la plus ambitieuse que nous ayons conçue à ce jour.

Tout va bien !

Ce faisant, qu’ai-je vraiment fait au fond depuis 30 ans ?

Je crains d’avoir passé le point de non-retour sur le chemin qui de Ionesco me conduit à Houellebecq. C’est un problème…

Qu’est-il advenu de mes racines ? toujours vivaces, sans doute. Pas sûr…

Mais j’aurai au moins acquis une conviction, à force de cotoyer le vrai talent, celui des grands Artistes ! Il n’y a pas d’Œuvre sans chef-d’œuvre, ni trace sans postérité.

Je n’ai pas ce talent, mais le feu m’anime toujours sous l’âtre poudré de gris des redondances et autres éternels recommencements. Une lumière est venue le raviver qui me laisse entrevoir avec détermination les 30 prochaines années.

Franck Prazan

La technique sublimée par l’amour…

La seule vraie bonne définition de l’art que j’aie pu trouver en 30 ans d’expérience professionnelle, c’est celle d’un écuyer, certes le plus grand du XXème siècle, mais qui n’a jamais enseigné ni dans une école d’arts plastiques, ni dans une faculté d’histoire de l’art, et encore moins dans un institut d’administration des affaires publiques !

L’Art, c’est la technique sublimée par l’Amour, disait Nuno Oliveira !

Humm ! quelle part d’immatériel faut-il ajouter à l’outil, au support, à la mise en œuvre, à l’attente et à l’espoir, pour que soit constituée une valeur taxable ? Et à quel juste niveau ?

La Directive TVA UE 2022/542 adoptée par le Conseil Européen le 5 avril dernier, à l’unanimité des 27 états membres dont la France, sans concertation auprès des professionnels du marché, et encore moins auprès des Artistes, nous en fournit la réponse ! C’est technique et sans amour, je vous l’épargnerai! De toutes façons, je doute que qui que ce soit ait compris ce dont au fond, il s’agissait !

Ancien directeur général de Christie’s dont j’ai installé l’activité de ventes en France, ancien conseil en achat d’œuvres d’art, ancien membre du Comité de Sélection de la Fiac, ancien membre du Board of Trustees de Tefaf, en charge de la sélection de ses exposants modernes à Maastricht et fondateur de sa bouture de printemps à New York, membre actuel du Comité de Sélection d’Art Basel à Bâle, et modeste dirigeant de ma modeste galerie, ce que je peux vous dire avec la plus absolue certitude est que le débat qui s’ouvre (je l’espère !), n’est pas un débat sur les riches, les recettes fiscales, ou les profits en berne !

Contrairement aux biens de consommation courante, un état s’enrichit de ses importations d’œuvres d’art, et s’appauvrit de ses exportations. De même, il s’enrichit évidemment de la production de ses Artistes.

La France est le seul pays de l’Union Européenne à avoir développé un véritable marché de l’art international. A ce titre, il est le seul marché de l’Union Européenne à bénéficier des conséquences du Brexit en tant que port d’entrée dans l’UE. En témoignent sa part de marché (50% au sein de l’Union Européenne), l’installation à Paris des deux maisons mondiales d’enchères, le regain de Drouot, l’avènement de quelques champions nationaux, l’arrivée des grandes galeries étrangères, celle d’Art Basel !

Le vrai, le seul débat, c’est un débat autour d’un problème dual, simple lui de compréhension:

1. De pure COMPÉTITIVITÉ dans un marché qui n’a pas pour frontières celles de l’Union Européenne;

2. De remise en cause de L’EXCEPTION CULTURELLE, laquelle constitue encore, avec quelques rares autres concepts, un des fondements partagés de notre pays.

Franck Prazan

Le point médian

Je suis petit-fils d’immigrés morts en déportation et, conséquence du désagrément qui précède, fils d’un garçon de l’assistance publique. J’ai grandi dans un milieu modeste que les temps d’alors, forcés par le travail, ont permis qu’il s’extirpe de sa propre condition.

Chez moi, toutes les origines, couleurs, nationalités, citoyennetés, sexes, préférences, croyances, orientations et choix étaient non seulement respectés, mais surtout recueillis avec une certaine ferveur que l’espérance portée par la promesse du triptyque républicain avait sans doute enfantée ! Et si aujourd’hui il me semble que l’Equité et la Justice sont d’application plus pratique que l’Egalité et la Fraternité, c’est bien à la Liberté que je dois de pouvoir l’exprimer !

Si le français relevait sans doute d’une piètre xénoglossie du côté de ma famille paternelle engloutie, en revanche, il avait valeur d’absolu du côté maternel. Rien, jamais, ne serait plus inclusif que la quête – souvent vaine ! – d’un imparfait du subjonctif, qu’une exception qui confirme la règle, qu’une figure de style rondement menée ! Cette gourmandise aurait-elle été plus légitime pour eux que du côté de mon Père ? en tous cas, certainement pas du fait de leur ancrage ancestral, compte tenu que les arrivées respectives en France avaient été à peu près concomitantes !

Je suis enfin père de trois filles, et je sais le prix de l’outrance qu’une femme peut subir. Ceux qui me l’ont appris le connaissent également.

Voilà pour le contexte !

A plusieurs reprises, il m’est récemment arrivé d’avoir à batailler pour obtenir, qu’à l’issue d’une demande d’entretien formulée par un média compatriote, mes propos ne soient pas retranscrits dans une autre langue que le français, savoir dans une langue qui serait, elle, par opposition à la mienne, donc, inclusive !

Or, je l’affirme, et je me tiens pour parfaitement légitime à le faire : le vrai point médian du creuset français (le seul?), c’est sa langue !

Pour moi, il n’est aucune promesse d’avenir ensemble, ni aucune compréhension commune du présent – sans parler du passé ! – pour qui ne se comprend pas. Commençons donc par intégrer le français, maîtrisons autant que possible le baroque de son orthographe, délectons-nous de la subtilité de sa stylistique, perdons-nous dans les méandres de sa grammaire, immergeons-nous dans les abymes de son lexique… et nous n’en serons que plus inclus !

Bonnes fêtes à tous !

Franck Prazan

L’ombre pour la proie

Je relis « La Peste ». A peu de mètres, Notre-Dame gît, si ce n’est terrassée, toujours abaissée… Je lis donc, beaucoup… Des miracles et des immondices ! Comme tout le monde, faute de mieux, j’essaie de faire de ce temps contraint un temps utile.

Moi, je suis Marchand de Tableaux. Un passeur. Pas un acteur. En tous cas pas un protagoniste. Un maillon qui lie entre elles des preuves de civilisation… Il m’arrive de penser que ce n’est déjà pas si mal !

Encore faut-il pour perdurer que perdure la civilisation. Quid de nous, alors, si même le certain n’est plus sûr ? C’est sans doute la question que, sans l’avoir nécessairement formulée, se posent nombre de mes confrères.

Quand le quart-monde des sans-abris erre sous nos fenêtres, celui que l’on ne voyait pas, pas parce que plus au sud, mais seulement plus ailleurs, quand meurent même les forts, ou ceux que l’on croyait tels, quand une portion chaque jour moins congrue d’entre nous tous se terre confinée, que le masque et le gel sont devenus l’objet de nos plus vifs désirs, quand dans l’obscurité luit la noirceur des âmes, et que dans la lumière jaillit tout soudain, comme une évidence, le poids de l’utilité commune, celle portée – notamment, pas uniquement – par ceux qui soignent, que reste-t-il encore, que restera-t-il demain de nos métiers ?

Certains s’agitent, d’autres se prostrent. Beaucoup se perdent…

Il y aura un après, puisqu’il y a eu des avants : avant des révolutions, avant des guerres – dont la dernière grande, de laquelle nous avons – j’ai ! – fondamentalement émergé -, avant des pandémies, même quand elles ne portaient pas encore ce nom.

Mais il faudra se concentrer, lâcher l’ombre pour la proie !

Et relire La Fontaine !

Franck Prazan

PS : Aux 10.266 lecteurs de ce blog, à toutes celles et ceux qui leur sont proches, et à tous les autres (y compris les 102.300 amis de la galerie sur Instragram et 107.946 sur Facebook!): « Portez-vous bien ! »

Monsieur de Givenchy

J’étais à Maastricht lorsque j’ai appris le décès d’Hubert de Givenchy.

A 51 ans, j’ai acquis la certitude qu’une vie professionnelle est un édifice bâti d’une somme de rencontres, certaines plus significatives que d’autres, quelques-unes déterminantes.

C’est Hugues Joffre – lequel m’avait recruté chez Christie’s France, en était devenu le Président du Directoire, et m’en avait nommé Directeur Général – qui avait proposé à Hubert d’occuper la fonction de Président du Conseil de Surveillance.

C’est grâce à Hugues – et à Christie’s – que je l’ai connu.

Dans le contexte où l’une de mes missions principales d’alors avait consisté à construire l’armature opérationnelle de la société à Paris, notamment du point de vue de ses ressources humaines et du développement immobilier de son siège de l’avenue Matignon, je me suis très souvent ressourcé auprès d’Hubert.

Plus tard, il avait accepté de siéger au conseil d’administration de Lasartis, le bureau de conseils qu’Hugues et moi avions fondé après avoir quitté Christie’s.

Pour nous, et de sa seule initiative, il avait organisé chez lui à Paris une réception à laquelle il avait convié ses amis proches dans l’objectif de nous mettre le pied à l’étrier.

Je viens initialement du monde de la Haute Couture. Pour tous là-bas, comme il y avait Monsieur Dior, ou Monsieur Saint-Laurent, il y avait Monsieur de Givenchy.

Parmi les rencontres déterminantes de ma vie professionnelle, il y a eu celle avec Monsieur de Givenchy.

Martin Barré, l’Art du peu

Ajouter ou retrancher le nom d’un Artiste de notre programme commercial constitue invariablement l’aboutissement d’une longue maturation. Certes, nous intervenons au second marché, mais jamais au gré des opportunités…

… Nous sommes bien entendu marchands de tableaux, mais nous nous sommes toujours attachés à travailler selon des modalités que ne renieraient pas les galeristes. Non pas comme eux aux côtés des Artistes, puisque la plupart de ceux dont nous montrons les travaux sont aujourd’hui décédés, mais de façon rigoureuse et persévérante, selon la ligne que nous nous sommes fixée, dans le domaine de compétence qui est le nôtre, sans jamais nous départir de nos convictions, et le plus souvent, quelles que soient les conditions de marché.

Cela passe par de l’abnégation, parfois de la chance, toujours de la satisfaction.

C’est compliqué – croyez-moi !- mais cela fonde notre démarche et lui confère – j’aime à le croire – de la pertinence et du fond.

Comme au premier marché, nous concentrons notre propos à l’occasion d’expositions monographiques, plus rarement thématiques, publions des catalogues, et communiquons bien au-delà du cercle de nos clients, notamment par les moyens modernes mis à notre disposition par les nouveaux media.

A la différence des acteurs du premier marché, nous ne pouvons pas compter sur la mise à disposition d’une offre dynamique puisque, par définition, la production artistique que nous mettons en avant est achevée, et par là-même limitée. Cependant, les 7 foires auxquelles nous participons annuellement nous amènent à nous organiser afin de contourner cette très grande difficulté en nous attachant à donner à voir de façon – j’aime également à le croire – tout aussi dynamique.

Cela relève sans doute à terme de la gageure : Vulnerant omnes, ultima necat !

Si j’ai décidé dans ce contexte de montrer de temps à autre, sans obligation et avec parcimonie, une peinture de Martin Barré, c’est parce que je crois profondément que le marché est désormais prêt à rendre justice à un travail de longue date célébré par la critique avertie la plus minutieuse, les historiens de l’Art, les Artistes eux-mêmes, et les collectionneurs passionnés.

Martin Barré est d’abord pour moi tout à la fois un continuateur et un refondateur d’une Abstraction entendue au sens le plus pur du terme, celle qui puise ses sources à l’aune des grandes avant-gardes, de Cézanne à Malevitch ou Mondrian. Une Abstraction totale, exigeante, radicale, sans compromission.

Chez Barré, il n’y a pas plus ensuite (ni moins !), je le pense, de « paysagisme abstrait » que de trahison à la dite « Jeune Ecole de Paris », pas plus (ni moins !) de « baroquisme » que de « procédé » ou de « concept », pas davantage (toujours pas moins !) « d’artisanat » que de rejet de ces « vestiges résiduels » d’une logique qui se serait voulue « suprématiste ». Toujours selon moi, et contrairement à l’apparente évidence, il n’y a aucune rupture dans son travail. Bien au contraire. Les phases qui s’enchaînent dessinent une trajectoire qui va bien au-delà de la forme si réfléchie et rigoureuse soit-elle. Martin Barré, j’en ai la conviction, est en ce sens et avant tout un Peintre, c’est-à-dire un Artiste qui se sert de la matière, de la couleur, des outils et de la toile ou du papier pour exprimer ce qui ne peut l’être autrement.

Ce que dit un Peintre de son travail, ce qu’on écrit sur celui-ci, ne m’a jamais intéressé et rarement convaincu. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est ce que le Peintre fait et ce que j’en vois. D’ailleurs, je suis de ceux qui pensent qu’une œuvre n’appartient plus à son auteur dès lors qu’il l’aura exprimée, ce qui est sa vocation.

Bien davantage que le précurseur du minimalisme souvent décrit, Martin Barré est enfin et avant tout pour moi le Père d’un « Art du peu qui pourtant suffit » puisque, dans l’espace silencieux de la toile et au-delà, dans l’espace qui l’accueille, il confine au tout.

L’accrocher, notamment dans un salon, parmi d’autres, n’est pas chose aisée tant le réductionnisme auquel il s’est voué s’accommode mal du brouhaha ambiant lorsque ce silence auquel il renvoie ne trouve plus à s’entendre.

Tant pis, nous ferons avec… !

Pour la première fois depuis de très nombreuses années, la galerie présentera une peinture de Martin Barré…

… A Tefaf Maastricht.

D’autres, peut-être suivront…

Oxymore (ou Pourquoi nous n’avons pas participé à la Biennale Paris)

Comme je suis présomptueux, j’ai attendu que la Biennale Paris ferme ses portes pour poster ce petit billet. En effet, je ne souhaitais pas que ma voix puisse causer en quelque manière que ce soit du tort aux participants à cette manifestation (à supposer que ma voix ait une portée quelconque, mais, je vous l’ai dit, je suis présomptueux … !).

Je n’ai rien contre la rhétorique, bien au contraire, tant pour persuader que pour agrémenter les discours, elle est pour moi toujours la bienvenue, tenant que je suis à la fois d’Aristote et de Quintilien. Mais, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, les mots ont un sens, et l’oxymore perd selon moi de sa pertinence lorsque les deux propositions qu’il entend rapprocher ne sont plus seulement éloignées mais fondamentalement antinomiques.

J’ai beaucoup entendu dire que la Biennale des Antiquaires pouvait bien devenir annuelle sans que cela ne pose plus de problème qu’au Paris-Dakar devenu latino-américain (et de fait débarrassé tant de Paris que de Dakar !). J’avoue ne pas être un grand spécialiste de la course automobile, mais il me semble que cette délocalisation de l’épreuve (rebaptisée Rallye-Dakar, Paris ayant pour l’occasion été sacrifiée à la rime) répondait à une urgence tactique compte tenu de la montée du terrorisme et de ses corollaires sécuritaires au Maghreb et au Sahel.

Le choix délibéré de rendre la Biennale annuelle relève lui d’une volonté stratégique. Face à la puissance de Tefaf Maastricht*, il est apparu que le rythme biennal ne permettrait plus à l’événement parisien de lutter à armes égales, voué qu’il serait donc à péricliter inexorablement, comme il a semblé que ce processus funeste serait déjà largement enclenché. Par ailleurs, qui pourrait légitimement défendre le bien-fondé d’organiser tous les deux ans ArtBasel ou la Fiac ? Enfin, si Frieze Masters a gagné en peu de temps la place qu’elle occupe aujourd’hui, ce serait évidemment du seul fait de sa programmation annuelle…

Mais en même temps (sic !), imaginerait-on une Biennale de Venise ou une Documenta annuelles ? Bien entendu, ces manifestations ne sont pas ouvertement commerciales et aiment à se situer dans la sphère institutionnelle. De surcroît, elles ne sont pas confrontées à une véritable concurrence annuelle, ce qui, pour les tenants de l’annualisation, exclut donc toute remise en cause de leur périodicité (CQFD). Mais, et c’est là l’axe central de mon propos, la Biennale des Antiquaires n’avait pas non plus de concurrent, précisément du fait que son rythme lui permettait de se différencier génétiquement de toutes les autres foires et salons consacrés au commerce des Arts dits beaux ou décoratifs, ce dans une ville (Paris) et un lieu (le Grand-Palais) que le monde entier nous envie. Les Joailliers ne s’y étaient pas trompés puisque aucune autre manifestation ne revêtait à leurs yeux autant de pertinence pour le lancement de leurs collections de haute joaillerie. A noter à ce sujet que les tenants de l’annualisation sont généralement également opposés à la présence des joailliers, ou en tous cas à la trop grande place qui leur aurait été dédiée. Qu’ils soient rassurés, ils sont partis !

Pour me sortir de cet oxymore auquel j’avoue bien volontiers ne rien comprendre, je me console en me disant qu’au final, ce n’est pas tant la Biennale des Antiquaires qui aurait été annualisée, que le défunt Salon du Collectionneur qui aurait été ressuscité et rebaptisé en Biennale Paris.

Reste que nous étions, à la galerie, particulièrement attachés à la Biennale des Antiquaires et que cette situation nous attriste, indépendamment du souhait que j’émets pour celles et ceux qui y ont participé que la Biennale Paris ait été à la hauteur de leurs attentes.

* Depuis avril 2017, je suis membre du Board of Trustees de The European Fine Art Foundation, et à ce titre potentiellement suspect de conflit d’intérêt

Marcel

Au terme d’une longue enquête que j’avais initiée en 2011, mon Frère Michaël a réalisé un documentaire consacré à mon Père et à celle qui l’aura conduit avec sa sœur en zone libre en 1942, et dont je n’ai découvert l’existence et la destinée tragique que près de 70 ans plus tard.

Ce film, intitulé « la Passeuse des Aubrais », a remporté sa sélection au 27ème Festival International du Film d’Histoire (Pessac, 14 – 21 novembre 2016) dans la catégorie des documentaires inédits et a été doublement récompensé à ce titre par le Prix du jury professionnel et par le Prix des jeunes journalistes.

Il sera diffusé sur Arte le mardi 13 juin 2017 à 22h55.

Voici les circonstances particulières dans lesquelles j’ai été amené à découvrir l’existence et à rencontrer cette femme hors du commun, Thérèse Léopold :

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Un soir d’avril 2011…

A ce moment-là, je ne me souviens plus s’il était à l’Hôpital Américain en gastroentérologie, à Foch en neurologie, ou à Saint-Antoine en orthopédie, mais ce qui est certain est que mon Père avait entamé sa longue agonie depuis quelques mois déjà. Elle devait s’achever le 29 décembre de la même année. J’étais au lit, et il devait être 21h00 quand le téléphone sonna. Marcel Sztejnberg ! Je le connais depuis toujours. Un vieux de la vieille du monde englouti des « schmates ». Outre mon accent parigot, j’ai en commun avec lui, d’être allé à la même école maternelle, au 6 de la rue Paul-Dubois, dans le 3e arrondissement, d’avoir frayé à « Répu » toute ma vie, et d’adhérer à l’association « Mémoires du Convoi 6 ». A la différence de Marcel, je n’ai pas fondé cette association, je ne suis pas né en Pologne, n’ai pas été raflé avec mes parents en juillet 1942, et n’ai pas survécu, seul, à ce qui s’ensuivra !

Marcel lit tout ce qui s’écrit sur la Shoah. Pour le moins ! Car je ne sais pas combien de lecteurs aura recruté Yves Lecouturier[i] pour son très bel ouvrage « Les Juifs en Normandie (1940-1945)[ii] », mais n’y en aurait-il eu qu’un que c’eut été Marcel !

« Page 183 », me dit-il, « on parle de ton père ! »

J’achète, et je lis : « Sœur du résistant calvadosien Henri Dobert, aujourd’hui installée à Houlgate, Thérèse Léopold est également engagée dans la Résistance à Paris : « Grâce à un cheminot, je faisais passer des enfants juifs en zone libre. » C’est le cas pour Bernard et Jeannette Prazan qu’elle convoie jusque dans les Pyrénées en juillet 1942. Dénoncée, elle est arrêtée pour aide et protection des Juifs et incarcérée au fort de Romainville. D’abord déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau, elle rejoint celui de Ravensbrück. »

!!!!!!!!!!!!!!

5 ans plus tôt, le 18 mai 2006 : Ce jour-là, mon Père (Bernard, donc !), enregistre à l’INA[iii] un entretien pour la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Aux questions de Catherine Bernstein qui l’interroge sur les circonstances dans lesquelles il avait échappé avec sa sœur (Jeannette, donc !) aux rafles de la police française à l’été 1942, il répond ce qu’il nous avait invariablement dit, à mon Frère et à moi, soit en substance : « ma tante (Gisèle, NDR), veuve de prisonnier de guerre français, naturalisée française (et à ce titre, à ce moment-là, exceptionnellement exemptée d’holocauste, NDR), nous avait confiés à une dame. Celle-ci, membre d’un réseau de faux résistants (comprendre d’un réseau de vrais collabos), était partie pour nous livrer à la Gestapo. Mais, arrivée à la dernière gare avant la zone libre, elle avait eu pitié de nous, comme je l’ai lu dans son regard qui depuis ne m’a jamais plus quitté, et nous avait conduits auprès de notre oncle, réfugié (provisoirement ! NDR) dans les Pyrénées».

Retour au livre d’Yves Lecouturier. Cette dame – dont mon Père ne nous avait jamais dit qui elle était, et dont il nous avait affirmé n’avoir jamais plus eu de ses nouvelles – a un nom. Elle s’appelle Thérèse Léopold. Elle aurait payé son aide aux juifs du prix de la déportation. En avril 2011, le livre est paru quelques semaines auparavant[iv]. A la date de cette parution, Thérèse Léopold est vivante. Et elle habite Houlgate …

 

 

La voilà, Madame Léopold ! Le 24 avril 2011, à Houlgate justement ! Aux bras d’un monsieur médaillé. Elle rend hommage à son Frère[v].

Yves Lecouturier, que je contacte à Caen, m’indique au téléphone les références d’un autre ouvrage, « Résistance au Féminin[vi] ». Je ne saurai jamais assez le remercier. J’y lis l’histoire de Madame Léopold.

Elle est née Gady, a épousé un Monsieur Lamboy en premières noces, puis un Monsieur Léopold en secondes. Effectivement sœur du résistant Henri Dobert, qui sera fusillé en 1943, et dont une rue d’Houlgate porte le nom, elle vit à Paris en 1942. Arrêtée chez elle (fin juillet 1942 ?, NDR) après avoir été dénoncée pour « aide et protection des juifs », elle est conduite à Orléans, puis à la prison du fort militaire de Romainville (en septembre 1942 ?, NDR) d’où elle est déportée via Compiègne à Auschwitz-Birkenau par le convoi dit des 31.000[vii] (série des numéros tatoués à l’arrivée) le 24 janvier 1943 avec de nombreuses femmes communistes dont Charlotte Delbo, Danielle Casanova, Marie-Claude Vaillant-Couturier ou Maï Politzer.

 

Thérèse à son arrivée à Auschwitz, matricule 31.800

 

J’apprendrai plus tard que Danielle Casanova, morte du typhus le 9 mai 1943, est décédée sous ses yeux.

 

Boris Taslitzky[viii]La mort de Danielle Casanova, 1949, huile sur toile, 81 x 130 cm

 

Le 9 août 1944, elle est transférée avec les autres survivantes du convoi à Ravensbrück. Puis, à Mauthausen, le 27 janvier 1945. A sa libération le 22 avril 1945, Thérèse, qui a échappé à plusieurs sélections, fait partie des 49 rescapées du convoi des 31.000 qui ont survécu à leur déportation, soit un taux de mortalité de 79%[ix] qui en dit long – j’aurai l’occasion de le vérifier – sur la vitalité et la détermination de cette femme.

De mon Père, qui avait 6 ans et demi au moment de sa fuite en zone dite libre, ou de cette femme, l’un des deux ment (Madame Léopold ?), ou se trompe (mon Père ?). Je sais – pour avoir toujours su – que Régine Zajakowski, la cousine de mon Père, avait été prise en charge par le même réseau de « résistants ». Concomitamment, selon la version de mon Père, peu de temps auparavant, selon Thérèse (ce hiatus étant sans doute l’une des clés qui m’échappent encore à ce jour pour tenter de discerner le vrai entre leurs versions respectives). Ce qui est certain en revanche est que tout ce qui était resté d’elle que l’on aura jamais plus revue depuis son arrestation à Orléans, son transfèrement à Drancy et sa déportation à Auschwitz, était une lettre, toute froissée de l’assèchement de ses larmes, et adressée à la tante Gisèle.

Par acquis de conscience, je me rapproche de mon Père à qui je fais part de ma stupéfiante découverte. Sur son lit de la clinique des Buttes Chaumont d’où il ne bouge plus depuis des semaines, il ne se souvient pas de l’identité de Thérèse qu’il dit n’avoir jamais revue depuis le voyage de l’été 1942, dont il m’affirme avoir totalement ignoré le destin, et dont il me décrit une nouvelle fois, avec la plus extrême précision, le regard empreint de remords qu’elle lui lança, à lui plus spécifiquement qu’à sa sœur, sur le quai de la gare à la descente du train. J’apprendrai plus tard qu’il s’agissait de la gare des Aubrais, aux faubourgs d’Orléans.

Thérèse a maintenant 93 ans ! A cet âge, que subsiste-t-il de sa mémoire ? Comment interroger une femme à qui – quelles que puissent avoir été ses turpitudes – mon Père doit sa survie ? En ai-je seulement le droit ? Comment lui opposer les souvenirs cruels d’un homme, au bout de son existence, qui avait à peine atteint l’âge de raison au moment des faits, quand bien même les circonstances seraient de nature à l’avoir alors projeté tout soudain dans la plus mature des adolescences ?

Je veux la rencontrer.

Je décide deux choses :

1. Après avoir trouvé les coordonnées de Thérèse Léopold, je rentre en contact avec la dame qui veille sur ses vieux jours. Annie Engelmann. Un miracle d’intelligence de la situation et de psychologie du personnage. Celle que je joins alors par téléphone me décrit une femme parfaitement lucide, à la force de caractère hors du commun, déterminée s’il en est. Je perçois à travers ses mots cette part d’ombre à laquelle elle me renvoie sans jamais la relier à un passé qu’elle n’a pas vécu, et qu’elle s’interdit d’attester. Par son érudition, le français qui est le sien porte la justesse d’une introspection dont j’ai la certitude qu’elle y travaille de longue date, au contact et au sujet de Thérèse, précisément. Je lui livre mon trouble relatif aux versions divergentes, mon souhait de vérité malgré l’impossible confrontation – mon Père venant de décéder -, ma crainte – enfin et surtout – que le surgissement brutal du passé ne soit pas compatible avec son grand âge. Rassuré par Annie sur ce dernier point, j’insiste malgré tout pour que ma visite soit précédée du visionnage par Thérèse du témoignage enregistré de mon Père à l’INA, et lui en adresse le DVD le 16 février 2012.

2. Parallèlement, sur les conseils de mon Frère, je missionne Christiane Ratiney, sa fidèle collaboratrice, excellente documentaliste et enquêtrice, en vue de rassembler toutes informations pertinentes afférentes à Thérèse Adrienne Gady, épouse Lamboy et par suite Léopold, née le 25 juillet 1918 à Saint-Pierre-Azif, Calvados ! Du 14 avril 2012 au 17 janvier 2013, en 9 mois de recherches, elle aura rassemblé la matière de base dans laquelle mon Frère puisera et qu’il complètera pour réaliser son film sur le sujet, « La passeuse des Aubrais »[x]. De l’exhumation de ces archives, je découvrirai notamment le rôle clé tenu par un personnage de la pire engeance, Pierre Lussac, repris de justice, escroc, passeur de juifs aux tarifs usuraires, collabo gestapiste, bourreau de résistants et auteur de terribles exactions, dénonciateur tant de la cousine Régine que de Madame Léopold, jugé et condamné à mort en juillet 1946, fusillé le 28 novembre 1946.

J’ai finalement rencontré Thérèse Léopold, dans sa maison d’Houlgate, avec ma famille, le samedi 21 juillet 2012, non sans avoir au préalable visionné les deux heures d’interview que mon Frère aura réalisées d’elle au mois de mai précédent et qui, là encore, serviront de base à « La passeuse des Aubrais ».

3 heures durant, je me suis accroché à chacun de ses mots – mâtinant la belle langue des anciens et le vocabulaire cru hérité des camps -, ai scruté la moindre de ses expressions, décomposé le plus imperceptible de ses changements de posture, tenté de pénétrer toute la rugosité de son être, tâté de sa détermination sans faille, oscillé entre la certitude que mes filles et moi lui devons la vie et le vertige du doute sur les circonstances. Je me souviens qu’au moment de nous séparer, elle a tiré de son portefeuille sans âge un petit morceau de papier plié en deux. La feuille était plus vieille que moi. Y était inscrit d’une écriture souple et académique le nom de mon Père : Bernard Prazan.

J’ai appris le décès de Thérèse Léopold le 11 décembre 2012.

__________________

[i] Titulaire d’une maîtrise d’histoire contemporaine à l’Université de Caen et d’un DESS d’Economie des Télécommunications à l’Université Paris-Dauphine, Yves Lecouturier est chercheur associé au Centre de Recherche d’Histoire Quantitative de l’Université de Caen et membre de la Société d’histoire de la Poste et de France Télécom en Basse-Normandie

[ii] Editions Ouest-France

[iii] Institut National de l’Audiovisuel

[iv] 15 février 2015

[v] Henri Dobert, né le 31 janvier 1915 à Dives-sur-Mer (Calvados). Membre du réseau Buckmaster Jean-Marie, il organisa avec René Capron un attentat contre un collaborateur notoire au mois de septembre 1943. L’échec de cette tentative leur valut d’être arrêtés par la police française et la Sipo-SD le 6 septembre 1941 à Trouville-sur-Mer (Calvados). Mais ils parvinrent à s’échapper de la voiture de la police, en abattant l’homme chargé de les garder. Quelques semaines plus tard, au mois de novembre, alors qu’une vaste rafle s’abattit sur le réseau, ils furent pris à Paris, internés à la prison de Rouen et condamnés à mort, le 10 novembre 1943, par le tribunal militaire allemand de Rouen (FK 517). Henri Dobert et Roland Bloch ont été fusillés le 9 décembre 1943 au stand de tir du Madrillet, à Grand-Quevilly (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), comme l’avaient déjà été avant eux six de leurs camarades. Il fut homologué sous-lieutenant à titre posthume et déclaré « Mort pour la France » en février 1945. SOURCES : DAVCC, Caen (Notes Thomas Pouty, Delphine Leneveu), dossier 21P444113 et 21P121844. – Jean Quellien (sous la dir.), Livre mémorial des victimes du nazisme dans le Calvados, op. cit.

[vi] Résistance au féminin, sous l’occupation en Normandie / éd. par les élèves et l’équipe pédagogique du Collège Paul Verlaine d’Evrecy, Edition Cahiers du temps, DL 2008

[vii] Ce transport, composé 230 femmes, est le seul convoi de résistantes à avoir été dirigé vers Auschwitz-Birkenau. Les autres femmes déportées par mesure de répression étaient envoyées à Ravensbrück. Sur ces 230 femmes, 85% d’entre elles étaient des résistantes : 119 étaient communistes ou proches du PCF et appartenaient au Front national pour la liberté et l’indépendance de la France. Quelques-unes avaient eu des responsabilités importantes comme Danielle Casanova et Marie-Claude Vaillant-Couturier. 45 étaient en outre des veuves de fusillés telles Charlotte Delbo, Marie (Maï) Politzer, Hélène Solomon. Quelques-unes étaient des parentes de déportés du convoi du 6 juillet 1942 ou de celui du 24 janvier 1943 destiné à Sachsenhausen. Tandis que quelques-unes étaient des résistantes isolées. A leur arrivée à Birkenau, le 27 janvier, ces femmes entrent dans le camp en chantant La Marseillaise. Elles sont immatriculées dans la série des « 31.000 » entre les numéros 31.625 et 31.854

[viii] Arrêté en 1941, puis interné à partir de 1943, à Saint-Sulpice-la-Pointe, dans le Tarn, Boris Taslitzky peint de grandes fresques d’inspiration révolutionnaire sur les baraquements du camp. Déporté à Buchenwald, il dessine plus de deux cents croquis : l’album sera publié grâce à Aragon, en 1946, sous le titre Cent Onze Dessins faits à Buchenwald. (…) L’engagement politique de Boris Taslitzky, proche de Pignon, Fougeron et Gruber, est indissociable de sa peinture, s’inspirant des références classiques de la peinture d’histoire : il rapproche la Mort de Danielle Casanova, résistante héroïsée, d’une descente de croix (…) En 1971, il est nommé professeur à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs et en 1997, il est fait officier de la Légion d’honneur au titre de la Résistance et de la déportation.” Elisabeth LEBOVICI – Libération/culture, 12 décembre 2005

[ix] Chiffre particulièrement élevé pour des déportées de répression

[x] Une coproduction INA et Arte France, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Les Français dans la mondialisation !

Si, au-delà de ma personne, ma nomination au conseil d’administration (Board of Trustees) de TEFAF (The European Fine Art Foundation), instance stratégique et de supervision de l’institution en charge notamment de l’organisation de TEFAF (The European Fine Art Fair) à Maastricht et New York, honore le travail que la galerie me permet d’effectuer, elle a pour moi surtout le mérite de démontrer qu’être français dans un environnement aussi mondialisé, concurrentiel et largement dominé par mes confrères anglo-saxons que le marché de l’art n’est pas, contrairement aux idées reçues, rédhibitoire.

Bien plus significativement, Christie’s n’appartient-elle pas à Monsieur Pinault ? N’est-elle pas dirigée par Guillaume Cerutti, tous deux français ? Les galeries françaises sont-elles sous-représentées à Art Basel ou Frieze ? La Fiac n’est-elle pas (re-)devenue une référence dans son domaine ? Les musées de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et Pouchkine de Moscou n’ont-ils pas choisi une fondation française, Louis Vuitton en l’occurrence, pour projeter Chtchoukine hors leurs murs ?

En réalité, le marché de l’art et celui de la culture sont affaires de marques. Et s’il est bien un domaine dans lequel les Français ont l’expérience et la légitimité pour démontrer de leur savoir-faire, c’est bien celui des marques. Et je n’ai pas pour ma part connaissance d’un autre terrain de jeu que celui du monde entier, globalisé, et donc ouvert mais exigeant, qui puisse permettre à qui en a la chance et l’ambition d’imposer sa marque.

En tous cas, certainement pas le repli sur soi !

Le Marché de l’Art, ça vous intéresse ?

Si l’on rapportait l’intérêt cumulé pour la culture tel qu’exprimé par les candidats à l’élection présidentielle au nombre qu’ils sont, on obtiendrait une donnée tangentielle au zéro !

Si une centrifugeuse particulièrement avancée technologiquement permettait d’extraire de cet intérêt pour la culture celui spécifique pour les biens culturels et leur marché, les connaissances actuelles en matière de géométrie, de mécanique ou de physique ne permettraient sans doute pas de résoudre l’équation…

Pourtant, selon les estimations de Clare McAndrew dans The Art Market 2017 commandé à Arts Economics par Art Basel et UBS, le marché de l’art aurait représenté un chiffre d’affaires mondial de 56,6 milliards de dollars en 2016 (en baisse de 11% par rapport à 2015) pour plus de 36 millions de transactions. La France y occuperait une place non négligeable, en l’occurrence la 4ème, avec une part de marché estimée à 7% (environ 4 milliards de dollars), mais très loin derrière les Etats-Unis (40%), le Royaume-Uni (21%), et la Chine (20%). Par ailleurs, et contrairement aux idées reçues, la part des transactions réalisées en privé (57%) – galeristes et marchands, essentiellement – serait largement supérieure à celle réalisée en ventes publiques (43%).

En 2013, Clare avait estimé dans un rapport commandé par le Comité Professionnel des Galeries d’Art et le Syndicat National des Antiquaires que le marché de l’art employait directement 52.500 personnes en France. Elle indiquait que les entreprises du marché de l’art faisaient appel aux services et aux prestations de professions annexes pour un montant de 645 millions d’euros correspondant à environ 8.650 emplois. Enfin, elle assurait que le marché de l’art contribuait de manière incontestable à la vitalité de l’économie du secteur touristique français (environ 80 milliards d’euros).

Aussi, et même si cela n’est pas au rang des premières priorités – dans les circonstances actuelles, j’en ai bien conscience -, je me permets de récapituler quelques mesures de soutien sectoriel que j’ai eu l’occasion de présenter à différentes occasions et devant différents auditoires :

  1. Instauration d’une provision pour constitution de stocks d’œuvres et objets d’art, de collection ou d’antiquité :

Buts recherchés :

  • Incitation à l’investissement en stock ;
  • Renforcement des fonds propres des diffuseurs ;
  • Renforcement des ressources des Artistes plasticiens ;
  • Soutien à l’économie nationale des biens culturels dans un contexte concurrentiel défavorable à la France depuis plusieurs années ;
  • Augmentation des recettes fiscales induites en termes de TVA et d’IS principalement par effet multiplicateur d’activité.

Description :

  • Le dispositif permet l’amortissement linéaire sur trois ans des achats d’objets d’art, de collection ou d’antiquité (tels que définis à l’article 98 A de l’annexe III du CGI) intervenus au cours d’un exercice quelconque et non vendus au jour de la clôture dudit exercice ;
  • Le bénéfice de cette mesure est subordonné à la condition qu’un montant au moins équivalent à la provision correspondante soit consacré à l’achat de nouveaux stocks au cours de l’exercice suivant ;
  • Au cas où le montant consacré à ces achats serait inférieur à la provision, celle-ci serait reprise à due concurrence de la différence ;
  • Le prix d’achat initial demeure la base de référence pour le calcul de la TVA sur la marge.

Illustration :

  • Tout ce qu’un marchand, galeriste ou antiquaire aura acheté sur un an et qui n’aura pas été vendu à la date de clôture de l’exercice (disons 120) pourra bénéficier d’un amortissement automatique linéaire sur 3 ans (40 / 40 / 40) ;
  • La condition est que ce diffuseur consacre l’année suivante au moins la même somme au réinvestissement dans son stock que celle provisionnée l’année précédente (40 donc) ;
  • La provision génère pour ceux qui payent de l’impôt sur les sociétés un surcroît de trésorerie égal à [40 x (33 1/3 %)] = 13,33 ;
  • Pour l’état, le manque à gagner en impôt n’est au pire que reporté dans le temps [puisqu’un stock qui aurait été entièrement provisionné (disons 120) générerait une marge commerciale (taxable à l’IS nette de charges) égale à son prix de vente], et au mieux plus que compensé par l’effet multiplicateur du réinvestissement.
  1. Fin du principe d’inaliénabilité des collections publiques :

La faculté pour une institution, qu’elle soit publique ou privée, nationale ou locale, de se pencher sur son inventaire pour, dans le cadre d’un processus parfaitement balisé et encadré, sous le contrôle des conservateurs, se dessaisir à terme d’un certain nombre d’œuvres d’art éventuellement redondantes ne comporte pour moi que des avantages :

  • générer de la trésorerie afin de permettre à un musée de demeurer un acteur puissant du marché, indépendant dans ses choix et, à ce titre, maître de son destin ;
  • participer activement à la marche de l’Histoire qui, en matière d’art comme en toute autre, ne peut demeurer figée dès lors qu’est bien entendu réaffirmé le préalable du discernement des fondamentaux du passé ;
  • agir en tant qu’agent économique de plein exercice et, par le fait même, concourir de façon déterminante à un écosystème de la culture au sein duquel il s’avère de plus en plus illusoire de tenter de dissimuler les échanges marchands sous le voile transparent de la pudeur ;
  • nourrir la demande effective des collectionneurs confrontés à la raréfaction, et contribuer au soutien des acteurs intermédiaires que sont les diffuseurs, non sans générer au passage des recettes publiques.
  1. Extension aux successions des dispositions de l’article 776 II du CGI, soit ramener à 60% maximum de leur valeur d’assurance la base imposable des œuvres d’art (pour tenir compte des frais d’intermédiation, des droits et taxes à la revente), comme c’est déjà le cas pour les donations entre vifs ;
  1. Assouplissement des conditions de circulation des biens culturels par l’extension de 50 à 70 ans du seuil d’âge et le doublement des seuils en valeur pour les œuvres et objets nécessitant pour quitter le territoire national la délivrance d’un passeport (certificat pour un bien culturel).

Voilà !