Oxymore (ou Pourquoi nous n’avons pas participé à la Biennale Paris)

Comme je suis présomptueux, j’ai attendu que la Biennale Paris ferme ses portes pour poster ce petit billet. En effet, je ne souhaitais pas que ma voix puisse causer en quelque manière que ce soit du tort aux participants à cette manifestation (à supposer que ma voix ait une portée quelconque, mais, je vous l’ai dit, je suis présomptueux … !).

Je n’ai rien contre la rhétorique, bien au contraire, tant pour persuader que pour agrémenter les discours, elle est pour moi toujours la bienvenue, tenant que je suis à la fois d’Aristote et de Quintilien. Mais, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire, les mots ont un sens, et l’oxymore perd selon moi de sa pertinence lorsque les deux propositions qu’il entend rapprocher ne sont plus seulement éloignées mais fondamentalement antinomiques.

J’ai beaucoup entendu dire que la Biennale des Antiquaires pouvait bien devenir annuelle sans que cela ne pose plus de problème qu’au Paris-Dakar devenu latino-américain (et de fait débarrassé tant de Paris que de Dakar !). J’avoue ne pas être un grand spécialiste de la course automobile, mais il me semble que cette délocalisation de l’épreuve (rebaptisée Rallye-Dakar, Paris ayant pour l’occasion été sacrifiée à la rime) répondait à une urgence tactique compte tenu de la montée du terrorisme et de ses corollaires sécuritaires au Maghreb et au Sahel.

Le choix délibéré de rendre la Biennale annuelle relève lui d’une volonté stratégique. Face à la puissance de Tefaf Maastricht*, il est apparu que le rythme biennal ne permettrait plus à l’événement parisien de lutter à armes égales, voué qu’il serait donc à péricliter inexorablement, comme il a semblé que ce processus funeste serait déjà largement enclenché. Par ailleurs, qui pourrait légitimement défendre le bien-fondé d’organiser tous les deux ans ArtBasel ou la Fiac ? Enfin, si Frieze Masters a gagné en peu de temps la place qu’elle occupe aujourd’hui, ce serait évidemment du seul fait de sa programmation annuelle…

Mais en même temps (sic !), imaginerait-on une Biennale de Venise ou une Documenta annuelles ? Bien entendu, ces manifestations ne sont pas ouvertement commerciales et aiment à se situer dans la sphère institutionnelle. De surcroît, elles ne sont pas confrontées à une véritable concurrence annuelle, ce qui, pour les tenants de l’annualisation, exclut donc toute remise en cause de leur périodicité (CQFD). Mais, et c’est là l’axe central de mon propos, la Biennale des Antiquaires n’avait pas non plus de concurrent, précisément du fait que son rythme lui permettait de se différencier génétiquement de toutes les autres foires et salons consacrés au commerce des Arts dits beaux ou décoratifs, ce dans une ville (Paris) et un lieu (le Grand-Palais) que le monde entier nous envie. Les Joailliers ne s’y étaient pas trompés puisque aucune autre manifestation ne revêtait à leurs yeux autant de pertinence pour le lancement de leurs collections de haute joaillerie. A noter à ce sujet que les tenants de l’annualisation sont généralement également opposés à la présence des joailliers, ou en tous cas à la trop grande place qui leur aurait été dédiée. Qu’ils soient rassurés, ils sont partis !

Pour me sortir de cet oxymore auquel j’avoue bien volontiers ne rien comprendre, je me console en me disant qu’au final, ce n’est pas tant la Biennale des Antiquaires qui aurait été annualisée, que le défunt Salon du Collectionneur qui aurait été ressuscité et rebaptisé en Biennale Paris.

Reste que nous étions, à la galerie, particulièrement attachés à la Biennale des Antiquaires et que cette situation nous attriste, indépendamment du souhait que j’émets pour celles et ceux qui y ont participé que la Biennale Paris ait été à la hauteur de leurs attentes.

* Depuis avril 2017, je suis membre du Board of Trustees de The European Fine Art Foundation, et à ce titre potentiellement suspect de conflit d’intérêt