« Zao Wou-ki n’est pas Vincent van Gogh, et comparaison n’est pas raison ! »

Tribune parue dans Le Quotidien de l’art le 23 mai 2016

En mars dernier, un projet d’amendement parlementaire avait été rejeté qui visait à créer une obligation nouvelle pour certains biens culturels dont la mise en vente publique aurait impérativement dû intervenir en France si elle avait eu lieu dans l’année qui aurait suivi la demande du certificat (dit passeport).

L’occasion m’avait alors été une première fois offerte par le Quotidien de l’Art d’écrire qu’empêcher par la contrainte que des œuvres d’Artistes de France n’aillent se confronter à celles de leurs homologues étrangers sur le champ de bataille des grandes ventes internationales, à New York, Londres, ou Hong Kong, c’était entreprendre un exercice d’affaiblissement délibéré de notre puissance culturelle, réduire ces œuvres à la portion congrue du marché, les ramener à nos propres turpitudes, les frapper d’un handicap dont elles n’avaient avant tout pas besoin.

Par ailleurs, il était assez évident qu’une telle mesure, si elle avait été adoptée, aurait très certainement contrevenu aux réglementations européennes qui établissent notamment la libre prestation de services au sein de l’Union.

Un nouvel amendement vient d’être proposé au Sénat en seconde lecture du projet de loi Liberté de la création, architecture et patrimoine qui rétablit la disposition, tout en étendant le lieu de vente au territoire de l’Union européenne, dans un souci, est-il stipulé ( !), de compromis…

Sont pêle-mêle évoqués en objet du texte, les objectifs de permettre :

– à Paris de jouer à « armes égales » avec Londres, New York, ou Hong Kong,

– à l’Etat d’exercer son droit de préemption qui serait, selon les rédacteurs, le seul gage d’enrichissement des collections publiques.

S’agissant de ces armes qui se voudraient égales, je ne vois pas desquelles il pourrait bien s’agir puisque ni Londres, ni New York, ni Hong Kong n’en disposent de telles, ce qui ne les empêche pas de représenter respectivement 19%, 40% et 26% des parts du marché mondial des enchères d’œuvres et objets d’art quand Paris plafonne à 5% (source Tefaf Art Market report 2016).

Quant à la préemption, il n’est pas à ma connaissance prévu que Londres, qui demeure encore à ce jour dans l’Union européenne, en octroie le droit d’exercice sur son territoire à l’Etat français !

Enfin, il est connu de tous que l’enrichissement des collections publiques est essentiellement l’apanage des sources du privé, stimulées par des politiques publiques incitatives, efficaces et réalistes qui, fortes du constat de la diminution de leurs ressources directes, favorisent les dations, legs et autres donations.

En réalité, cette proposition est portée par quelques opérateurs de ventes publiques nationaux qui ont cru qu’elle pourrait être de nature à les aider, par la coercition et le protectionnisme, à lutter contre Christie’s et Sotheby’s. Il est assez pittoresque de noter qu’aucun de ces opérateurs ne dispose de salle des ventes à Londres (place de marché à qui la nouvelle rédaction de « compromis » ferait le cadeau de la favoriser par rapport à New York ou Hong Kong … !), contrairement aux deux leaders mondiaux, qui, rappelons-le, sont également régulièrement leaders à Paris!

Il me semble que l’environnement juridique de la protection du patrimoine national en France est, en l’état, le plus équilibré qui soit. Il est à la fois clair, lisible et pratique : soit une œuvre présente le caractère de Trésor National, et on la classe, l’Etat assumant alors sa responsabilité en s’en portant acquéreur, soit ce n’est pas le cas, et on ne voit pas très bien alors à quelle catégorie intermédiaire de bien culturel elle pourrait appartenir, ni qui aurait vocation (et selon quels critères ?) à la qualifier… je plains d’avance les services de la Direction des Musées de France, et ceux des conservations des grandes institutions muséales nationales…

Dans l’hypothèse – peu réaliste, espérons-le ! -, où cette mesure serait adoptée, se pose également la question des finances publiques qui risqueraient de se voir à nouveau confrontées à une répétition de l’épisode douloureux du Jardin à Auvers dans lequel l’Etat avait été condamné en 1996 à verser 145 millions de francs à la famille Walter, pour la dédommager de l’interdiction de sortie du territoire d’une peinture de Van Gogh. C’est d’ailleurs cette décision judiciaire qui avait conduit la France à revoir sa législation sur la protection des trésors nationaux, laquelle, aux seuils d’exportation près, aujourd’hui dépassés, est sans doute la meilleure au monde.

Zao Wou-Ki n’est pas Vincent Van Gogh, et comparaison n’est pas raison ! mais, toute chose égale par ailleurs, son marché (on peut le regretter) est devenu essentiellement asiatique, et Hong Kong ou Taipei ses places les plus naturelles de ventes aux enchères. En instituant une nouvelle servitude (même temporaire) qu’il n’indemniserait pas‎, et sans se déclarer acquéreur, l’état n’exposerait-il pas sa responsabilité au regard de la possibilité pour le vendeur d’une peinture du grand peinture français né en Chine de librement disposer de son bien en décidant de le proposer à l’encan en Asie ?

Si le but officiellement déclaré, et largement louable, des parlementaires est de favoriser la mise en place de mesures propres à dynamiser le marché français, il existe bien des dispositifs possibles, applicables et vertueux, dont nous sommes quelques professionnels de terrain à pouvoir les exposer avec plaisir à nos interlocuteurs publiques.

 

Franck Prazan

Le 19 mai 2016, Paris

« Pourquoi les oeuvres de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Jean Dubuffet devraient-elles être privées de confrontation avec celles de leurs homologues étrangers ? »

Tribune parue dans Le Quotidien de l’Art le 29 mars 2016

C’est avec stupeur que j’ai pris connaissance du projet d’amendement parlementaire visant à créer une obligation nouvelle pour certains biens culturels dont la mise en vente publique devrait impérativement avoir lieu en France si elle avait lieu dans l’année qui suivrait la demande du certificat (dit passeport).

Empêcher par la contrainte que des œuvres d’Artistes de France n’aillent se confronter à celles de leurs homologues étrangers sur le champ de bataille des grandes ventes internationales, c’est entreprendre un exercice d’affaiblissement délibéré de notre puissance culturelle.

Nous n’en avons expressément pas besoin, et c’est à tout l’inverse qu’il faudrait prétendre et inciter.

Que je sache, il n’est venu à personne l’idée saugrenue de rendre obligatoire que les œuvres de Barnett Newman ou de Franz Kline soient vendues à New York? Pourtant, qui pourrait concevoir de les présenter à la vente ailleurs qu’à New York?

Voir l’engouement que suscitent, aujourd’hui même, trois tableaux de Zao Wou-Ki sur mon stand à Hong Kong, c’est comprendre le cheminement de l’Artiste et de ses œuvres: lorsqu’il s’installe à Paris en 1948, il accède à la liberté de créer et à une diffusion que la révolution chinoise n’aurait alors sans doute pas permises. Le fait qu’aujourd’hui son marché soit devenu asiatique dans son nexus et dans sa destination finale auprès des collectionneurs de la région apparaît comme une revanche de l’Histoire.

Et cette revanche honore et récompense la création française…

La culture est une arme dans la grande bataille internationale à laquelle nos sociétés sont confrontées. L’hégémonie du marché américain résulte d’une volonté politique née après-guerre d’imposer un modèle au reste du monde. On peut le déplorer mais constater en même temps que les ventes publiques à New York emportent 35% des parts du marché mondial quand, de 50% il y a 60 ans, nous nous maintenons péniblement à 5% depuis plusieurs années. C’est l’alliance objective des Artistes, de leurs marchands, de la critique, des institutions et des collectionneurs qui aura permis d’atteindre cet objectif encore une fois politique.‎ Cette alliance nous fait défaut depuis 60 ans!

La mesure proposée, louable qu’elle soit dans ses intentions déclarées, si elle devait in fine être adoptée, et à supposer qu’elle soit conforme aux règles européennes, ne changerait rien à cette donne d’airain‎. C’est un lieu commun de constater que l’enfer est pavé de bonnes (?) intentions.

Pourquoi les œuvres de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Jean Dubuffet, pour ne citer que quelques Artistes, dès lors qu’elles se trouveraient en France et qu’elles nécessiteraient l’autorisation légitime de l’Etat pour quitter le territoire devraient être privées de confrontation avec celles de leurs homologues étrangers dont elles n’ont rien à envier.

Je montre le travail de ces Artistes dans toutes les foires importantes du monde, et je suis parfaitement conscient que c’est ce travail qui nous porte et de loin non l’inverse. Il n’a pas à pâlir devant celui des Artistes anglo-saxons ou italiens par exemple, et ne demande qu’à ce qu’on le voie pour s’en convaincre.
Empêcher que leurs œuvres s’affichent dans les catalogues de vente des grandes maisons internationales à New York, Londres ou Hong Kong, c’est les réduire à la portion congrue du marché, les ramener à nos propres turpitudes, les frapper d’un handicap dont elles n’ont certes pas besoin.

Les ventes publiques sont ma principale concurrence. Pourtant, je suis convaincu que le même type de raisonnement que celui qui sous-tend la mesure coercitive proposée engendrerait la fausse conclusion que ce qui affaiblirait les maisons de vente me renforcerait… c’est aussi inepte que le schéma dont il est question ‎!

Soit une œuvre présente le caractère de Trésor National, et on la classe, l’Etat assumant alors sa responsabilité, soit ce n’est pas le cas et, si sa qualité le permet, elle ira battre des records là où son marché l’appelle!

On peut regretter, comme c’est mon cas, que la valeur d’une œuvre d’art soit trop souvent réductible à son prix‎ mais, en ce cas, c’est à la règle du jeu mondial qu’il convient de s’attaquer. Pourquoi pas? Mais dès lors que l’on souhaite entrer en jeu, il faut, avec les règles existantes, tout faire pour l’emporter en visant l’excellence. Et rien n’exclut les Artistes de France de cette perspective ni ne nécessiterait qu’on les protégea contre eux-mêmes.

Je rêve au contraire du jour ou Freud ou Bacon ou Fontana ou Pollock ou Motherwell ou Richter viendront se vendre à Paris… et peut-être ce jour-là, Picasso aussi se vendra en France !

 

Franck Prazan

Le 25 mars 2016, Art Basel Hong Kong