Deaccessioning !

Aliénation ? Cession ? Arbitrage ? Oui, mais non ! En tous cas, pas seulement… En fait, je ne suis pas même certain qu’il existe en français un terme qui traduise au fond le sens de « deaccessioning ».

C’est dire à quel tabou il renvoie !

Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’herbe est forcément plus verte ailleurs. Au contraire. Et si je connais les contraintes qui pèsent sur notre pays, elles ne font que renforcer mon profond attachement pour lui qui, globalement, réussit, cahin-caha, malgré tout et surtout malgré elles.

Mais en l’espèce, la faculté pour une institution, qu’elle soit publique ou privée, nationale ou locale, de se pencher sur son inventaire pour, dans le cadre d’un processus parfaitement balisé et encadré, se dessaisir à terme d’un certain nombre d’œuvres d’art éventuellement redondantes ne comporte pour moi que des avantages :

  1. générer de la trésorerie afin de permettre à un musée de demeurer un acteur puissant du marché, indépendant dans ses choix et, à ce titre, maître de son destin ;
  2. participer activement à la marche de l’Histoire qui, en matière d’art comme en toute autre, ne peut demeurer figée dès lors qu’est bien entendu réaffirmé le préalable du discernement des fondamentaux du passé ;
  3. agir en tant qu’agent économique de plein exercice et, par le fait même, concourir de façon déterminante à un écosystème de la culture au sein duquel il s’avère de plus en plus illusoire de tenter de dissimuler les échanges marchands sous le voile transparent de la pudeur ;
  4. nourrir la demande effective des collectionneurs confrontés à la raréfaction, et contribuer au soutien des acteurs intermédiaires que sont les diffuseurs, non sans générer au passage des recettes publiques.

En aval du processus de décision quant aux peintures choisies pour la « désaccession » (1), le contrat par lequel deux peintures sont confiées à la vente par le MoMA à Applicat-Prazan a fait l’objet de discussions et d’ajustements pesés au trébuchet avant de se concrétiser.

Qui peut penser qu’une institution comme celle-ci, parmi les mieux dotées et les plus prestigieuses du monde, agirait à la légère ?

Pourquoi les équipes de conservation, à mon sens les seules habilitées, ne seraient-elles pas en mesure de prendre position sur la composition et l’évolution de leur inventaire ? Elles sont déjà beaucoup plus que de simples acteurs passifs. Au sein de l’institution, certes elles conservent et étudient, mais aussi – et peut-être surtout – elles programment, scénographient, exposent, promeuvent, sensibilisent, partagent, transmettent, et… Acquièrent ! Pourquoi ne seraient-elles pas en mesure d’arbitrer ?

Pour ma part, si je suis fier de la confiance qui est témoignée à la galerie par le MoMA, je suis surtout soucieux de nous en montrer dignes, et heureux pour celles et ceux parmi nos clients qui, en nous en donnant les moyens, verront entrer dans leur collection une ou deux perles de choix !

(1) Anglicisme néologique par défaut qui n’honore pas son publiciste.

__________________

Alienation? Transfer? Arbitration? Yes, but no! In any case, not only… In fact, I am not even sure that a term exists in French that translates in depth the meaning of “deaccessioning”.

Which shows just how much of a taboo it reflects!

I am not someone who believes that the grass is always greener elsewhere. On the contrary. And although I am aware of the constraints weighing on our country, they only reinforce my deep affection for he who, on the whole, manages, albeit with difficulty, to succeed in spite of everything and, above all, in spite of these constraints.

But, in the case in point, the ability of an institution, be it public or private, national or local, to study its inventory in order to, within the context of a perfectly circumscribed and controlled process, eventually part with a certain number of possibly superfluous works of art, only has advantages as far as I am concerned:

  1. to generate income in order to allow a museum to remain a strong market player, independent in its choices and, in this capacity, master of its destiny;
  2. to actively participate in the march of History, which, in terms of art as in all else, cannot be static, so long as the preconditions of discernment of the fundamentals of the past have, of course, been reasserted;
  3. to act as a fully functional economic agent and, by this very fact, to compete in a decisive way in a cultural ecosystem within which it transpires that it is increasingly unrealistic to try to conceal commercial trade behind the veil of discretion;
  4. to provide for the real demand of collectors confronted by scarcity, and contribute to supporting intermediary actors, which is what distributors are, while also generating public revenue along the way.

After the decision process regarding the works chosen for deaccessioning was completed, the contract, by which two paintings have been entrusted to Applicat-Prazan for sale by the MoMA, was the subject of meticulous discussions and adjustments before it took concrete shape.

Who could believe that an institution such as this, among the best endowed and the most prestigious in the world, would act lightly?

Why would the conservation staff, the only people who should be empowered, not be able to take a stand on the composition and progress of their inventory? They are already much more than just static proxies. Within the institution, they not only preserve and study, but also – maybe above all – they program, design, exhibit, promote, raise awareness, share, educate, and … acquire! Why would they not be able to deaccession?

For my part, although the trust placed in the gallery by the MoMA is a source of pride, I am above all concerned with proving we are worthy of it, and am delighted for those among our clients who, by giving us the means, will see one or two choice gems become part of their collections!

Audacieux ?

Galeristes, marchands de tableaux… Ceux parmi nous qui prétendraient que les critiques afférentes à leur programmation ne les toucheraient pas, qu’elles soient chaleureuses ou désobligeantes (pour ne pas dire dithyrambiques ou assassines, comme elles le sont fréquemment dans un environnement peu enclin à la pondération !), ne seraient à mon sens pas vraiment sincères.

Bien sûr, le plus souvent, nous nous effaçons, comme c’est normal, derrière les œuvres. Mais en montrant, nous nous montrons… Aussi, ce qui se dit de nos choix et de notre façon de les défendre, nous le prenons, comme ça n’est pas moins normal, très à cœur.

Pour ma part, je l’admets, j’y suis largement sensible, même si, lorsque les commentaires sont positifs, je m’efforce de ne jamais perdre de vue l’impermanence et la relativité qui fondent notre exercice professionnel.

J’ai été particulièrement heureux de l’accueil qui aura été réservé à l’exposition Zoran Music que la galerie a initiée à la Fiac.

J’en remercie vivement toutes celles et ceux qui auront marqué cet accueil.

Un adjectif plus particulièrement aura cependant retenu mon attention : audacieux ! Comprendre : le fait de se « risquer » à présenter ces deux séries de peintures dans le contexte d’une foire par essence commerciale …

Dans tous les cas, sans aucune exception, le terme aura été employé avec la plus grande bienveillance. Néanmoins, je crois qu’il me faut le réfuter. Non par effet de cabotinage – que j’exècre -, mais parce, fondamentalement, il ne traduit pas la réalité.

Non, je n’ai pas, nous n’avons pas été audacieux ! Quand bien même cet œuvre serait exigeant. Quand bien même notre fonction première (mais pas unique), mercantile, serait de diffuser.

En l’espèce, je crois à l’inverse que ce qui aurait été audacieux aurait été de ne pas montrer aujourd’hui ce travail – notamment Nous ne sommes pas les derniers – tout en ayant été en capacité de le faire.

Je citerais pour m’en justifier, reprendrais indûment à mon compte, mais surtout garderais en mémoire la conclusion du texte de Boualem Sansal: « Il est bon, frères, de se souvenir au présent de ce qui fut et de ce qui adviendra ; l’homme est ainsi, fait de mémoire, seulement de mémoire, ne l’oublions jamais. »

Encore merci à vous.

Michaël Prazan : Zoran Music, L’Art du témoignage

Personne mieux que Jean Clair n’a parlé de l’Art de Zoran Music. Comment par conséquent apporter un éclairage pertinent à l’exposition qu’Applicat-Prazan consacrera à cet immense Artiste, et que nous inaugurerons à la Fiac prochaine ? J’ai choisi de confier à trois grands auteurs et témoins de leur temps le soin d’écrire les textes de notre catalogue à l’aune de leur approche toute personnelle du cri, de l’homme et de son message.

Oh combien d’actualité, vous en jugerez… !

En avant-première de la sortie du catalogue co-édité et distribué à partir d’octobre 2016 par Skira, et dont vous verrez que c’est un très bel objet, je soumets ici à votre lecture, en trois publications successives, les travaux de Boualem Sansal, Pascal Bruckner et Michaël Prazan.

La traduction anglaise de Deke Dusinberre suit la version française en bas de page.

 

No-one can talk about the Art of Zoran Music better than Jean Clair.  How else could we gain a relevant insight into the exhibition that Applicat-Prazan is to devote to this immense Artist, and which will be inaugurated at the forthcoming FIAC?  I chose to entrust the texts of our catalogue to three great authors, witnesses of their time, in the very terms of their personal approach to the cry, to the man and to his message.

And still it continues, as you will judge for yourselves…!

As a preview of catalogue – a beautiful object in itself – co-published and to be distributed in October 2016 by Skira, I am pleased to present for your perusal in three successive publications, the texts of Boualem Sansal, Pascal Bruckner and Michael Prazan.

The English translation by Deke Dusinberre follows the French version further down the page.

_____________________

Michaël Prazan : Zoran Music, L’Art du témoignage

Témoigner. Zoran Music ne fut pas le seul à ressentir cette urgence, comme une absolue nécessité. Tous les internés des camps de concentration, plus largement les prisonniers et travailleurs forcés destinés aux centres de mise à mort nazis, ceux qui avaient en eux les capacités et les outils leur permettant de le faire, ont répondu à cette injonction. À l’aide d’un morceau de charbon, d’un stylo chapardé ou obtenu par le troc ou la contrebande, d’un bout de papier trouvé dans les affaires d’un mort, ils ont écrit. Il fallait livrer au monde, quel que fût leur destin propre – aucun ne pensait survivre à l’expérience concentrationnaire ou au processus d’extermination –, la preuve de ce à quoi ils assistaient, de l’expérience unique à laquelle ils étaient confrontés. Ce fut le cas de Zalmen Gradowski, de Leib Langfus ou de Zalmen Lewental, trois membres des sonderkommando d’Auschwitz, trois travailleurs forcés juifs affectés aux « Krema » de Birkenau. Ils étaient chargés du pire travail possible : vider la chambre à gaz des corps qui s’y trouvaient pour les brûler ensuite dans des fours crématoires. Sous les coups, les injures et les brimades, sans répit. Dans le rythme effréné des convois qui venaient de toute l’Europe, habités par la certitude que leur tour viendrait. Ils étaient destinés au sort des cadavres qu’ils réduisaient en cendres, et ils y ont tous trois succombé. Après avoir frénétiquement noirci d’une écriture empressée, précise et sans fioritures, les bouts de papier qui leur tombaient sous la main, ils ont enfoui leurs manuscrits dans la terre, près des crématoriums. On les a retrouvés après la libération du camp, l’effondrement du IIIe Reich. Et leur disparition.

D’autres membres de ces sonderkommando, peut-être les mêmes, ont pu se procurer un appareil photographique. Depuis la chambre à gaz, ils ont pris des clichés, quatre photographies arrachées à la vigilance de leurs bourreaux, quatre instants de vie à Auschwitz-Birkenau. On y voit des femmes juives déportées de Hongrie à l’été 1944, entièrement nues, marcher au pas de course dans le bois de bouleaux vers leur assassinat. Sur d’autres clichés, on aperçoit quelques-uns des membres du sonderkommando traîner des cadavres au milieu d’une fumée infernale pour les brûler à l’air libre (le rythme des gazages était tel qu’on ne pouvait tous les incinérer dans les crématoires, pleins à ras bord). Au même moment, dans le camp d’Auschwitz-la Buna, Primo Levi rédigeait à la dérobée la première version de ce qui deviendrait plus tard Si c’est un homme.

Les condamnés ne possédaient pas toujours les aptitudes leur permettant de témoigner – la faculté de décrire ou de représenter ce qu’ils observaient et ce qu’ils vivaient. L’opportunité a pu s’y substituer. On pense alors à David Sivzon, du nom de cet électricien juif de Liepāja, en Lettonie. Au mois de décembre 1941, les Juifs de la ville, plus de 7000 personnes – toute la population juive de Liepāja –, essentiellement des femmes et des enfants, avaient été assassinés dans une longue tranchée creusée sur la plage de Skede par les Einsatzgruppen et leurs supplétifs locaux – en l’occurrence, un bataillon de la police lettonne. Ne demeurait en vie qu’un échantillon résiduel de travailleurs juifs, des ouvriers spécialisés dont le SD local avait besoin pour les travaux de maintenance. David Sivzon en faisait partie. Quelques semaines après les massacres de Skede, il fut envoyé dans l’appartement de Carl Strott, un responsable allemand du SD de Liepāja, pour y réparer des câbles électriques. Il n’y avait personne lorsqu’il se mit au travail. Sivzon remarqua un tiroir du bureau à moitié ouvert qui laissait apparaître quatre pellicules de films photographiques. L’électricien juif les examina à la lumière du jour. Il s’agissait d’une douzaine de photos, prises avec son appareil Minox par Strott en personne, le 15 décembre 1941. Les clichés retracent chaque étape du massacre de masse, du déshabillage sous bonne garde sur la plage jusqu’à cet ultime cliché où l’on aperçoit les corps inertes allongés au milieu de la tranchée ; ces corps qui, sur les photos précédentes, étaient encore des personnes vivantes, un groupe constitué de femmes et d’enfants. Sivzon empocha les pellicules. Il s’arrangea pour en faire des copies, puis simula une panne de courant pour revenir dans l’appartement de Strott et les replacer dans le tiroir. Parce qu’il était trop risqué de conserver les tirages sur lui ou dans ses affaires, aussi parce qu’il pouvait disparaître à tout moment dans le processus d’extermination, il décida de les cacher dans une boîte métallique qu’il enterra sous une étable. Sivzon survécut. À la libération, il déterra les photos qu’il envoya au service d’espionnage de l’armée soviétique. Les clichés servirent de pièce à conviction au tribunal de Nuremberg.

Témoigner. C’est le ressort premier de la série de croquis effectuée par Zoran Music au camp de Dachau, en 1945. Environ deux cents esquisses à l’encre, jetées sur le papier comme autant d’instantanés, et sur lesquelles s’égrènent, pris sur le vif, les visions horrifiques du paysage concentrationnaire. Cadavres décharnés, enveloppés dans leurs linceuls de fortune ou enclos dans des cercueils. Prisonniers chargeant les corps squelettiques destinés aux fours crématoires dans des charrettes ou sur la plateforme arrière des camions. Si la main du peintre formé à l’Académie des beaux-arts de Zagreb, rompu par ses talents de copiste à l’art du Siglo del Oro, ne tremble pas, la rapidité du geste, la concision du trait, sa maladresse assumée – car sans conséquence artistique – traduisent l’urgence du témoignage – du témoignage comme fonction et pour seule fin, du témoignage comme lien ultime avec l’humanité. La sienne d’abord (« peut-être une raison de s’en sortir » ; « peut-être une raison de résister »), mais surtout celle du dehors : l’humanité qui encadre la guerre, celle des gens normaux qui verront et comprendront le croquis à qui il se destine de manière abstraite et indirecte. Témoigner, dans ce contexte, c’est dialoguer avec l’humain, du moins ce qu’il en reste ; fût-il un songe, une nostalgie, un idéal ou une chimère.

Si ce n’était l’outil forgé par sa trajectoire personnelle (la peinture, la maîtrise graphique de l’anatomie et du mouvement – ici, de son absence), l’entreprise de Music au camp de Dachau ne le distingue pas, sur l’essentiel, de celle des sonderkommando d’Auschwitz, de celle de Primo Levi à la Buna, voire même de celle de David Sivzon à Liepāja. Les croquis de Dachau, en ce sens, ont sans doute plus à voir avec le reportage, le dessin de presse, qu’avec l’art en tant que tel. C’est après que les choses changent, comme elles changeront pour d’autres peintres et d’autres écrivains passés par les camps. Leur témoignage était si fort et si vrai, jusque dans les vides enserrant le trait, jusque dans les silences entre les mots, qu’il s’est imposé à eux. Presque nécessairement, il demeurerait l’assise et le maître étalon de leur style. Comme si, en dehors de ce témoignage fondateur, de sa référence dont ils ne parviendront jamais à s’extraire complètement, il n’y avait plus rien à dire, il n’était plus possible de rien dire. Resterait alors, tout en lui demeurant fidèle, à le transformer en esthétique. Faire autre chose, peut-être. Aller plus loin, sans doute. Mais sans le trahir.

Ainsi, lorsque, hanté par les horreurs de Dachau, Music renoue en 1970 avec la thématique du camp dans une série d’œuvres majeures, rassemblées sous le titre Nous ne sommes pas les derniers, l’ébauche et le croquis du témoignage liminaire deviennent naturellement la facture de son art. Ses représentations picturales – les monceaux de corps ou les visages hallucinés des cadavres aux yeux perforés, noirs comme des puits sans fond – travaillées comme jamais dans leurs formes, agrémentées d’une palette minimale de couleurs qui oscillent entre l’ocre et le rouge de la terre battue, de halos parcheminés qui font émerger les victimes déshumanisées, tragiquement interchangeables, de la chape d’oubli qui les a recouvertes, sont d’autant plus poignantes qu’elles semblent toujours plus vraies, comme si l’art venait à la rescousse du souvenir pour mieux le conjurer et le transcender, tout en lui demeurant résolument fidèle. Les rescapés qui ont poursuivi par la littérature le témoignage ébauché dans le camp, qui en ont fait la matière de leur œuvre, étaient obsédés par la justesse du ton et du style qu’ils devaient adopter, par la volonté de restituer le camp par une langue la plus pure et la plus simple possible, débarrassée des artefacts littéraires, de tout ce qui, par l’adverbe, l’adjectif ou le trope, risquerait de le noyer dans le maniérisme et les idiotismes propres à leur art. Tous craignaient l’invasion du pathos dans leurs œuvres – le pathos, qui est essentiellement « vie » et « mouvement ». Eux voulaient créer une écriture de Mort, une écriture qui traduise la mort avec le plus de réalisme possible. Pour demeurer au plus près de leur sujet et de l’expérience qu’ils avaient traversée et qu’ils ne voulaient perdre à aucun prix, ils ont bridé certaines de leurs tendances au lyrisme, au sentimentalisme, à l’hyperbolique, à l’emphatique, au métaphorique. Cette recherche de distanciation a été paraphrasée par Jean Améry, le rescapé autrichien d’Auschwitz et l’auteur de Par-delà le crime et le châtiment, d’« objectivité distinguée ». Il s’agissait pour l’artiste de disparaître derrière la représentation, et pour ce faire, de réprimer en soi l’égotisme de l’artiste. « Autrement dit, même s’ils [les écrivains du camp] reconnaissent à contrecœur que l’objectivité – qui a effectivement une réputation d’élégante civilité – n’existe pas dans sa forme absolue, ils essayent de sauver ce qui peut l’être, sans toutefois contester le principe même de la recherche d’objectivité. »

« L’écriture blanche » issue des camps (Primo Levi, Jorge Semprún, Robert Antelme, Elie Wiesel, David Rousset), mise au jour par les critiques et les commentateurs, pourrait aussi bien qualifier l’œuvre de Music. Primo Levi disait qu’il était inutile de souligner l’horreur par des mots ou des effets de style, puisque l’horreur se trouvait déjà dans ce qu’il écrivait. Il en va de même de la série Nous ne sommes pas les derniers. Et, même après, dans les œuvres qui se veulent détachées du souvenir de Dachau, qui renouent plus volontiers avec l’histoire de la peinture et de ses figures traditionnelles, tels le portrait, l’autoportrait, le nu. C’est comme si l’ombre de Dachau, sa gamme chromatique, ses formes fantomatiques et crépusculaires, se perpétuait en elles, comme si, grâce au style unique choisi par le peintre pour traduire le camp, il le faisait entrer dans l’histoire de l’art. « Ce que j’ai vécu à Dachau m’a appris à m’attacher à l’essentiel, à éliminer tout ce qui n’est pas indispensable », commentait Music à la fin de sa vie. « Aujourd’hui encore, je peins avec un minimum de moyens. Il n’y a plus, dans ces travaux, ni gestes, ni violence. On parvient à une sorte de silence qui est peut-être un aspect caractéristique de mon travail. Il n’y avait jamais, voyez-vous, dans la mort de tous ces gens à Dachau, la moindre rhétorique. »

Le témoignage est circonscrit à l’événement dont il témoigne. Il s’inscrit dans un lieu et dans un moment de l’histoire. L’art lui permet de l’évaser, de le décloisonner, de l’extraire de l’événement proprement dit pour lui conférer une dimension universelle. C’est à tel point vrai que, pour chacun, les œuvres de Music décrivent la Shoah, le génocide de six millions de Juifs, alors même que Music n’était pas juif, et que Dachau, symbole pour être le premier d’entre eux du camp nazi, assurément l’un des plus meurtriers, de ceux où la mortalité sévissait sous toutes les formes possibles et imaginables, n’était pas Auschwitz. S’il y a eu la volonté d’assassiner en masse les détenus à Dachau, la chambre à gaz que l’on présume avoir été installée dans le baraquement X en 1943 n’aurait, selon l’historien Pierre Vidal-Naquet, jamais fonctionné. De même, la force symbolique des œuvres de Music, particulièrement la série Nous ne sommes pas les derniers, se poursuit bien au-delà de l’espace concentrationnaire nazi et de la guerre, son art produisant comme une page blanche sur laquelle sont projetées toutes les horreurs du monde contemporain ; tout ce qui peut avoir trait à l’enfermement, l’avilissement, la déshumanisation, la privation de liberté et d’identité, la mort et le supplice au nom d’une « politique ». Music pensait, au sortir de la guerre, être parmi les derniers. Il pensait accompagner, par son témoignage et par son œuvre, la fin d’une histoire ; celle des camps et des idéologies meurtrières. Il croyait participer à une forme d’antidote à la barbarie, voulant croire que l’humanité avait pris conscience du cataclysme sans précédent auquel il avait échappé. Qu’elle en tirerait les leçons. Il n’en fut rien. « Le temps passant, je vis que le même genre de chose recommençait à se produire partout dans le monde : au Viêt Nam, dans le Goulag, en Amérique latine, partout. Et je me rendis compte que ce que nous nous étions dit alors, que nous serions les derniers, n’était pas vrai. Ce qui est vrai, c’est que nous ne sommes pas les derniers. »

Au cœur du terrible conflit qui déchira la Yougoslavie au milieu des années 1990, l’écrivain Pascal Bruckner, qui l’a croisé à ce moment-là, se souvient que toutes les parties en présence s’arrachaient le symbole que représentait pour chacun le peintre, alors âgé de 83 ans. Pour les Serbes, il était l’opposant au nazisme, une figure de la résistance dont ils entendaient soutenir l’héritage. Pour les Croates, il était l’un des leurs parce que, bien qu’il fût d’origines mêlées, à la fois slovène et italienne, Music était né en Dalmatie et avait fait ses études à Zagreb. Quant aux Bosniaques, ils reconnaissaient dans sa peinture les victimes de Srebrenica et du « nettoyage ethnique » perpétré par les milices de Radovan Karadžić.

Zoran Music est mort en 2005. Il nous a légué une œuvre monumentale et intemporelle. Une œuvre qui témoigne du naufrage de l’Europe entre 1939 et 1945, mais qui, excédant sa tragédie et sa temporalité, raconte l’humanité suppliciée, en tous lieux et de tout temps. Aujourd’hui qu’un nouveau totalitarisme s’est levé, que sa barbarie ne connaît pas de frontières, que les civils sont de nouveau martyrisés, massacrés, crucifiés, décapités, que chrétiens d’Orient et Yézidis sont potentiellement les victimes d’un nouveau génocide, en Irak et en Syrie, l’œuvre de Music résonne comme jamais. Music et ses camarades d’infortune n’étaient pas les derniers. Ils étaient une avant-garde, des éclaireurs aux avant-postes de l’éternel fracas du monde. Le travail de Zoran Music, tissé du témoignage vécu, d’horreur et de beauté mêlée (contradictions que l’art seul peut faire tenir ensemble), est autant un rappel qu’un avertissement. « N’oubliez pas que cela fut,
écrivait Primo Levi. Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue.
En vous couchant, en vous levant ; 
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous. »

Impressionnez ces images sur votre rétine, imprimez-les dans votre mémoire, aurait pu ajouter Music. Car ce que vous voyez fut et sera encore.

Michaël Prazan

_____________________

Michaël Prazan: Zoran Music, The Art of Bearing Witness

 To bear witness: Zoran Music was not the only person to experience that urge as an absolute necessity. All inmates of concentration camps—and, more broadly, the prisoners and forced laborers sent to the Nazi death centers who had the requisite ability and skills—fulfilled the injunction to testify. They wrote things down with a piece of charcoal, or with a pen that was pilfered, swapped or smuggled in, on a scrap of paper found among a dead man’s possessions. They had to tell the world of their fate—none of them thought they would survive the camp experience or the extermination process. They needed to prove what they were witnessing, the unprecedented experience they were undergoing. Such was the case of Almen Gradowksi, Leib Langfus, and Zamen Lewental, three Jewish forced laborers at Auschwitz, part of a Sonderkommando assigned to the Birkenau “Krema.” They were given the worst possible task: emptying the gas chamber of bodies and then burning them in the crematoria. All the while receiving blows, insults, harassment. Without respite. To the hectic pace of the convoys arriving from all over Europe, haunted by the certainty that their own turns would come. They were condemned to the same fate as the corpses they burned to ashes; and all three met that fate. After having frantically scribbled in hasty yet plainly accurate handwriting on scraps of paper that came their way, they buried their manuscripts in the ground, near the crematoria. Those papers were found after the camp was liberated, after the Third Reich fell. And after they had died.

Other members of a Sonderkommando—perhaps the same—got their hands on a camera. They took pictures of the gas chamber, four photos snatched from under their executioners’ noses, four slices of life at Auschwitz-Birkenau. The photos show Jewish women deported from Hungary in the summer of 1944, completely naked, walking swiftly through the woods to their murder. Other photos show a few members of the Sonderkommando dragging bodies amid the hellish smoke, in order to burn them outdoors (gassings were so thick and fast that not all bodies could be incinerated in the overflowing crematoria). At the same moment, in the Buna camp at Auschwitz, Primo Levi was secretly writing the first draft of what would later become If This Is a Man.

The doomed did not always have the skills to enable them to bear witness, the ability to write or to depict what they saw and experienced. But luck might replace that lack. Take David Sivcon, a Jewish electrician from Liepaja in Latvia. In the month of December 1941, the entire Jewish population of the town of Liepaja—over 7,000 people, mainly women and children—was murdered in a long trench dug on the beach of Skede by Einsatzgruppen and their local allies (in this case, a battalion of Latvian police). The only survivors were a residual group of Jewish laborers—specialized workers needed by the local Sicherheitsdienst (SD) for maintenance work. Sivcon was one of them. A few weeks after the massacre at Skede, he was sent to repair the electrical wiring at the apartment of Carl Strott, a German overseer of the SD in Liepaja. No one was around when Sivcon got down to work. In the half-open drawer of a desk he noticed four rolls of film. He examined them in daylight, and found that there were a dozen photos taken by Strott himself with his Minox camera on December 15, 1941. The pictures recorded each step of the mass killing, from undressing on the beach under the guards’ gaze to a final photo of dead bodies aligned in the middle of the trench—the same bodies that, in earlier shots, had been a living group of women and children. Sivcon pocketed the rolls of film, had copies made, then faked an electrical blackout in order to return to Strott’s apartment and put them back in the drawer. Since it was too risky to keep the prints on his person or among his things, and since he, too, could vanish at any moment during the extermination process, Sivcon decided to store them in a metal box that he buried beneath a stable.

Sivcon survived. On being liberated he dug up the photos, which he sent to the Soviet army’s espionage agents. At the Nuremberg trials, these photos were used as evidence.

To bear witness: that was the initial motive behind the series of sketches done by Zoran Music in the Dachau camp in 1945. Some two hundred drawings in ink scrawled on paper, like so many snapshots. One by one, done from life, they show horrific visions of the camp landscape. Fleshless corpses wrapped in makeshift shrouds or dumped in coffins. Prisoners loading skeletal bodies headed for the crematorium onto carts, or onto trucks. While the hand of the artist trained at the academy of fine arts in Zagreb—reinforced by his talent as a copyist of seventeenth-century art—did not tremble, the swiftness and concision of lines whose awkwardness is deliberate (because artistically insignificant) convey the urgency of the testimony. Testifying was the point, the sole goal. Testifying was his final link to humanity: his own humanity, firstly (“maybe a reason to survive, maybe a reason to hold out”), but mainly the rest of humanity, the humanity surrounding the war, the humanity of normal people who would see and understand the sketch addressed to it in an abstract, indirect way. Bearing witness, in this context, meant conversing with humanity, or at least what remained of humanity, whether just a dream, nostalgia, ideal, or illusion.

If it hadn’t been for the tools honed by his personal career (the study of painting, mastery of the visual depiction of anatomy and movement—or its absence, as here), Music’s project at Dachau would not have differed, in essence, from those of the Sonderkommando at Auschwitz or from Levi’s at Buna, indeed from Sivcon’s at Liepaja. In this respect, the Dachau sketches relate more to reporting, to press illustration, than to art as such. It was afterward that things evolved, just as they would evolve for other artists and writers who experienced the camps. Their testimony was so powerful and so authentic, including the gaps ringing the lines and silences separating the words, that bearing witness became crucial. Almost of necessity it would remain the basis, the measure, of their style. It was as though there was nothing left to say outside that initial testimony, outside what it pointed to, something they could never completely escape. It was no longer possible to say anything. What remained, then, was to transform that testimony into artistry even while remaining faithful to it. Or maybe do something different. Perhaps take things further. Yet without betraying it.

So when in 1970, haunted by the horrors of Dachau, Music took up the concentration camp theme in a series of major works collectively known by the title of We Are Not the Last, the drawings and sketches of the initial testimony naturally dictated the handling of these pieces. His depictions—the heaps of bodies, or the haunted faces of empty-eyed corpses, black like bottomless wells—were developed as never before in terms of form, matched by a reduced palette of colors shifting between ocher and an earthen red, by wizened haloes that bring forth the dehumanized, tragically interchangeable victims. The weight of oblivion blanketing them is all the more poignant for seeming truer than ever, as though art has come to the rescue of memory the better to conjure it away and transcend it, even while remaining steadfastly faithful to it. The survivors who pursued, through writing, the testimony scribbled in the camps, turning it into the substance of their oeuvre, were obsessed by finding the right tone and style to be adopted, by the desire to recount the camp experience in the purest, most straightforward language possible. They were desperate to avoid literary artifacts or anything that might overwhelm that account—an adverb, adjective, or trope—through the mannerisms and idioms specific to their art. All feared that their works would be invaded by pathos—the pathos that is essentially “life” and “movement.” They wanted to forge a literature of Death, a literature that would convey death as realistically as possible. In order to remain close to their subject and to the experience they underwent, which they wanted to retain at all cost, they reined in their inclinations toward lyricism, sentimentalism, hyperbole, bombast, metaphor. Jean Améry, an Austrian survivor of Auschwitz, described this distanciation as “refined objectivity” in his book At the Mind’s Limits.  The artist had to vanish behind the picture and, by doing so, repress artistic ego. “Even if it is reluctantly acknowledged [by writers about the camp experience] that objectivity—which, indeed, has a reputation for decent correctness—is impossible in an absolute form, [they] try to save what can be saved while not questioning the way of thinking.”

The “blank” writing that emerged from the camps (by the likes of Primo Levi, Jorge Semprun, Robert Antelme, Elie Wiesel, and David Rousset), as discussed by critics and commentators, might also describe Music’s work. Levi said it was pointless to stress the horror through stylistic or literary effects, since the horror was already in what he wrote. The same is true of the We Are Not the Last series and, even later, of those works allegedly unrelated to recollections of Dachau, which deliberately address the history of painting with its traditional genres of portrait, self-portrait, and nude. It is as though the shadow of Dachau—its chromatic range and its ghostly, twilit shapes—survived in the latter; it is as though Music inserted the unique style he adopted to convey the camp into the history of art. “What I experienced at Dachau,” said Music toward the end of his life, “taught me to stick to essentials, to eliminate everything that wasn’t indispensible. Even today, I paint with a minimum of means. In these works there is no longer gesticulation or virulence. They attain a kind of silence that is perhaps a characteristic feature of my work. There was never the least rhetoric, you see, in the deaths of all those people at Dachau.”

Testimony is circumscribed by the event it records. It is inscribed in a place and moment of history. Art allows testimony to broaden out, to break free, to escape from a specific event in order to acquire a universal dimension. Thus everyone thinks Music’s work describes the Holocaust—the genocide of 6 million Jews—even though Music wasn’t Jewish and Dachau wasn’t Auschwitz (although it was highly symbolic for being not only the first Nazi camp but also one of the most deadly, where death was dealt in every possible and imaginable form). Even though prisoners were extensively murdered at Dachau, the gas chamber that is thought to have been installed in Barracks X in 1943 was never put into operation, according to historian Pierre Vidal-Naquet. Similarly, the symbolic impact of Music’s works, especially the series of We Are Not the Last, extends beyond the realm of Nazi camps and war; his art creates a kind of blank page on which all the horrors of today’s world can be projected—everything related to detention, debasement, dehumanization, deprivation of freedom and identity, death and torture in the name of some “policy.” At the end of the war, Music thought he was one of the last. He thought his testimony and his work would represent the end of a story, the story of deadly ideologies and concentration camps. He thought he was helping to produce a kind of antidote to barbarity, he wanted to believe that humanity had taken note of the unprecedented catastrophe it barely escaped. He wanted to believe that humanity would learn the lesson. Not so. “As time went on, I saw that the same kind of thing was beginning to recur all over the world—in Vietnam, in the Gulag, in Latin America, everywhere. I realized that what we told ourselves earlier, that we would be the last, wasn’t true. What’s true is that we’re not the last.”

In the midst of the terrible war that racked Yugoslavia in the mid-1990s, the writer Pascal Bruckner, who traveled across the land, recalled that everyone there symbolically pictured Music, then aged eighty-three, in their own way. For Serbs, he was the adversary of Nazism, a resistance fighter whose heritage they wanted to preserve. Croats felt that he was one of them, because although of mixed background—simultaneously Slovenian and Italian—Music was born in Dalmatia and had studied in Zagreb. The Bosniacs, meanwhile, identified his paintings with the victims of Srebenica and the “ethnic cleansing” perpetrated by Radovan Karadzic’s militia.

Zoran Music died in 2005. He left behind a monumental, timeless oeuvre. It bears witness to the catastrophe in Europe between 1939 and 1945, and also, extending beyond the time-frame of that tragedy, to the torture of humanity in all places and periods. Now that a new totalitarianism has emerged, now that barbarity knows no borders, when civilians are once again being tortured, massacred, crucified, and decapitated, when Eastern Christians and Yazids in Syria and Irak are perhaps facing a new genocide, Music’s oeuvre resonates all the more powerfully. He and his fellows in misfortune were not the last. They were an avant-garde, they were scouts on the outposts of the world’s endless havoc. Music’s work, woven from personal experience into a blend of beauty with horror (a contradiction that only art can sustain), is as much a warning as a reminder. “Never forget that this has happened,” wrote Primo Levi. “Remember these words. Engrave them in your hearts, when at home or in the street, when lying down, when getting up. Repeat them to your children. Or may your houses be destroyed, may illness strike you down, may your offspring turn their faces from you.”

Etch these images onto your retinas, Music might have added. Etch them into your mind. Because what you see was, and will be again.

 Michaël Prazan

Pascal Bruckner : Zoran Music, Peindre avant que tombe la nuit

Personne mieux que Jean Clair n’a parlé de l’Art de Zoran Music. Comment par conséquent apporter un éclairage pertinent à l’exposition qu’Applicat-Prazan consacrera à cet immense Artiste, et que nous inaugurerons à la Fiac prochaine ? J’ai choisi de confier à trois grands auteurs et témoins de leur temps le soin d’écrire les textes de notre catalogue à l’aune de leur approche toute personnelle du cri, de l’homme et de son message.

Oh combien d’actualité, vous en jugerez… !

En avant-première de la sortie du catalogue co-édité et distribué à partir d’octobre 2016 par Skira, et dont vous verrez que c’est un très bel objet, je soumets ici à votre lecture, en trois publications successives, les travaux de Boualem Sansal, Pascal Bruckner et Michaël Prazan.

La traduction anglaise de Deke Dusinberre suit la version française en bas de page.

 

No-one can talk about the Art of Zoran Music better than Jean Clair.  How else could we gain a relevant insight into the exhibition that Applicat-Prazan is to devote to this immense Artist, and which will be inaugurated at the forthcoming FIAC?  I chose to entrust the texts of our catalogue to three great authors, witnesses of their time, in the very terms of their personal approach to the cry, to the man and to his message.

And still it continues, as you will judge for yourselves…!

As a preview of catalogue – a beautiful object in itself – co-published and to be distributed in October 2016 by Skira, I am pleased to present for your perusal in three successive publications, the texts of Boualem Sansal, Pascal Bruckner and Michael Prazan.

The English translation by Deke Dusinberre follows the French version further down the page.

_____________________

Pascal Bruckner : Zoran Music, Peindre avant que tombe la nuit

Chez Music, tout commence par le flou, par un voile qui dissimule et montre à la fois. Ce qui frappe dans ses tableaux, c’est d’abord la couleur de terre brûlée qui occupe toute la surface. Il brouille le regard pour le purifier, il nous force à accommoder. La demi-teinte oblige à chercher de la clarté, un sens dans les ténèbres. Music ne peint le monde que filtré par la douceur de l’ocre comme une lumière de base, une monochromie fondamentale d’où s’enlèvent des nuances de gris ou de bleu pâle, de jaune ou d’orange délavé. Telle une symphonie jouée sur une seule note dont on découvrirait lentement les harmoniques et les différences de ton. La toile ne vous saute pas au visage, c’est vous qui plongez lentement en elle, par immersion progressive. Pas de violents contrastes de couleurs qui éblouissent et imposent une direction, juste un clair-obscur qui déroute. Chacun de ses tableaux commande d’être médité autant que regardé. Le sépia installe le sujet dans une sorte d’hier éternel, hors du temps.

Ce peintre centre-européen, héritier de l’Empire austro hongrois, éduqué en trois langues, l’italien, l’allemand, le slovène, élève de l’École des beaux-arts à Zagreb, aurait pu rester un paysagiste talentueux croquant les gracieux chevaux de Dalmatie, les ruelles de Venise, les reliefs du Karst, cette région érodée déboisée par les Vénitiens pour construire leurs pilotis. Ou les bacs traversant les fleuves emplis de bœufs, telle une arche de Noé biblique. Il chante le monde d’avant la catastrophe, la nature heureuse. Ses pointes sèches, ses lithographies évoquent les arts primitifs indiens des Amériques. Délibérément traditionnel, il s’est dit marginalisé par les avant-gardes picturales de son époque, écrasé par les dogmes bavards des abstraits, des cubistes, des surréalistes. Mais cet embarras a tourné à son avantage. Contrairement aux peintres « subversifs » de son siècle, Music n’a pas voulu scandaliser la bourgeoisie débonnaire du monde démocratique, par le fracas des manifestes et la remise en cause des formes. Il a fait mieux, il a été confronté au pire, au nazisme, qui l’a jeté dans un camp de concentration. Arrêté par hasard à Venise par la Gestapo en 1944, soupçonné de liens avec les Alliés, il fut en effet torturé puis envoyé à Dachau, après avoir décliné, en riant, la proposition d’un officier allemand de devenir un auxiliaire de la SS.

Cette épreuve aurait pu le tuer, elle l’a révélé à lui-même. Dans le processus créateur, le passage par l’oppression est parfois indispensable : voyez Soljenitsyne, Varlam Chalamov, Vassili Grossman, Primo Levi, Robert Antelme qui ont tiré de leur calvaire des œuvres immenses. Ou encore l’admirable Margaret Buber-Neumann livrée par Staline à la Gestapo et qui aura connu les deux versants du totalitarisme, soviétique et allemand, le « camp d’amélioration » au Kazakhstan en 1937 puis Ravensbrück au début de la Seconde Guerre mondiale. Music, pour se libérer de l’épouvante, entame, à l’insu de ses gardiens, dès qu’il le peut, avec des moyens de fortune, une série de croquis sur la vie du camp, dont seuls environ deux cents seront sauvés. Il offre à ses compagnons de torture un tombeau d’encre et de papier, tente de capter leurs yeux « comme des centaines d’étincelles acérées », leurs doigts arachnéens. Autour de lui il ne voit qu’agonisants et macchabées.

« Je dessinais comme en transe, m’accrochant morbidement à mes bouts de papier. J’étais comme aveuglé par la grandeur hallucinante de ces champs de cadavres. Tout en dessinant, je m’agrippais à mille détails. Quelle tragique élégance dans ces corps fragiles. Des détails si précis : ces mains, ces doigts si minces, les pieds, les bouches entrouvertes dans la tentative extrême de happer encore un peu d’air et les os recouverts d’une peau blanche, à peine un peu bleuie. Et la hantise de ne point trahir ces formes amoindries, de parvenir à les restituer aussi précieuses que je les voyais, réduites à l’essentiel. »

Mourir, c’est s’alléger, se réduire à la finesse d’une ligne, d’un trait. On pense, face à ces esquisses, à Goya, Georg Grosz ou Otto Dix qui ont influencé Music, mais sans la charge de démesure de ces derniers. Il y a de la tendresse dans ces choses vues en enfer, autant qu’un refus de la violence gratuite. À côté de lui, le Guernica de Picasso semble l’affiche d’un publicitaire de génie, trop bavard, trop vu, trop diffusé et qui a rejoint le grand barnum consumériste. Les morts de Music sont modestes. Ils ne hurlent ni ne se contorsionnent en effets criards et c’est en quoi ils nous bouleversent. Leur sexe est une béance noire comme leur bouche, un souvenir, une épure. Le peintre a inventé l’esthétique de l’abomination discrète.

Très schématiquement, la représentation de la mort dans la peinture occidentale suit deux voies : celle des Vanités et celle des Revenants. Les premières soulignent la fugacité de l’existence et que l’homme « est méprisable en tant qu’il passe et infiniment estimable en tant qu’il aboutit à l’éternité » selon les mots magnifiques de Bossuet. Des troupeaux de damnés de Bosch, poussés vers l’enfer, aux danses macabres de Holbein ou Michael Wolgemut, chaque homme ou femme est suivi comme une ombre par son cadavre qui aime, rêve, festoie à ses côtés et le tire lentement vers le trépas. Gentilshommes, princes, marchands, manants, jeunes filles, tous sont en sursis. Patiemment logée dans l’air que nous respirons, dans les tissus qui nous composent, dans les battements de notre cœur, la Camarde attend son heure. Et comme les démons que nous fuyons, elle finit toujours par nous rattraper. Mais les défunts, tout à la rage d’être partis avant les autres et de laisser sur terre tant de bien portants, sont agités d’une vie incessante et fiévreuse et reviennent troubler les vivants. Dès le Moyen Âge, se développe tout un art macabre à connotations érotiques, scènes d’amour dans les tombeaux, cadavres dotés d’organes génitaux et capables d’abuser de jeunes mortelles. La Mort ne se contente pas d’emporter les êtres à tout âge, elle les viole dans des étreintes macabres : témoins le fameux tableau de Hans Baldung Grien (1517) où la Mort, le crâne encore parsemé de mèches grises, empoigne une jeune fille nue par les cheveux et la contraint à descendre dans le tombeau. Ou bien, la même année, celui de Niklaus Manuel Deutsch qui représente un cadavre embrassant une jeune personne sur la bouche et caressant son sexe. Annonçant nos modernes zombies, les morts forment une population inquiète : jamais en repos, ils produisent des sons étranges, dévorent leurs suaires, sont habités d’appétits inavouables, ouvrent leurs caveaux et viennent semer la terreur dans les campagnes et les bourgs, propageant des épidémies.

Zoran Music réconcilie ces deux dimensions : le camp fut pour lui une épreuve initiatique, un cheminement vers la vérité, mais à retardement. À peine libéré, gravement malade, de Dachau par les troupes américaines, il efface le cauchemar, s’enivre de lumière, de beauté, peint pendant vingt-cinq ans des scènes bucoliques en Dalmatie, en Italie, s’adonne à sa passion de la nature, des étendues semi-désertiques. La traversée de l’abjection est passée sous silence. Mais vers 1970, l’école de Dachau revient en force dans son œuvre et il entame la série extraordinaire de Nous ne sommes pas les derniers. À l’allégresse succède le face-à-face impitoyable avec la terreur. Dachau est devenu l’espace mental de son inspiration et ne le quittera plus. Des moribonds, la bouche ouverte, regardent le ciel vide et sans Dieu, d’autres semblent dormir, figés dans des poses grotesques, tels de vieux enfants couchés dans un lit. « L’horrible beauté de ces corps ruinés » s’est emparée de lui. Des monceaux de mourants s’agglutinent sur un monticule, bras et jambes pendantes, baignées dans une espèce de lumière rose. Certains voudraient nous parler, un peu comme ces nourrissons prématurés, dépourvus de poumons et de cordes vocales et qui hurlent en silence, dans leurs berceaux. Ils conversent sans un mot dans une sorte de parlement pathétique. D’autres sont assis, nus, décharnés, attendant de perdre le peu de force qui leur reste. D’autres encore semblent rire comme s’ils étaient joyeux de quitter cette vie, à moins que le rictus ne soit qu’une contraction involontaire de la mâchoire. Leur tête est noire comme un fruit déjà pourri.

Les gisants de Music ne sont pas ces cadavres bien portants des gravures du Moyen Âge, ces pendus joyeux ou ces morts de l’imagerie populaire du Mexique qui batifolent et dansent la gigue. Ils sont nus, démunis. Leur décès n’ouvre sur aucune rédemption et confirme la déréliction générale. Music est l’anti-baroque par excellence, il fuit le pathos autant que l’effroi. Il rend hommage aux disparus par la compassion et la tendresse. Il prend les êtres humains après la souffrance, après la maladie, l’exode, la faim, au moment où ils vont rendre l’âme : l’armée des morts est une population en surnombre. Il y en a trop, partout, toujours, ils submergent l’espace. Épuisés, ils tombent par grappes entières et les survivants les entassent en tas gémissants. L’économie de moyens est chez Music la voie royale vers l’essentiel. À qui a traversé l’enfer, le retour en arrière est impossible. Le monde est brisé, la sérénité a disparu. Passé de l’ignominie à la stupeur, Music doit garder jusqu’au bout les yeux ouverts sur l’abîme.

Alors débute chez lui une ultime période : il devient un personnage de Dachau, se regarde avec les yeux du mourant qui aurait du rester dans le Lager et a survécu par hasard. « Voir les yeux fermés » dit-il. Désormais il n’obéit qu’à une vision intérieure et multiplie les autoportraits, seul ou en couple, en compagnie de sa femme Ida dont on ne retient que la mousseline des cheveux, châtains ou roux, semblable à une auréole. Mais les visages ne sont représentés que pour être effacés ou suggérés. À la place de la personne, une silhouette floue. Deux spectres unis dans le crépuscule. Comme des clichés qui n’impriment jamais sur la toile et restent désespérément vides. Les êtres paraissent sans matière, sans contours, à peine évoqués qu’estompés, littéralement bus par des sables mouvants. Levinas parlait du visage comme la nudité par excellence, le vulnérable qui nous somme de répondre d’autrui. Les toiles de Music ne donnent plus prise à cette illusion. La figure n’est qu’une empreinte où apparaissent les lieux plus sombres de la bouche et des yeux. Comment pourrait-on les dévisager, les reconnaître puisque leurs traits ont été gommés ? Restent des traces comme sur le suaire de Turin, des contours qui s’atténuent. Chez Music, l’expérience concentrationnaire est celle de la disparition du visage : pas d’altérité puisque l’identité s’est évanouie. En vieillissant, lui-même s’abolit à son tour dans l’informe. Seule une tache noire, halo ou auréole, indique l’emplacement de ce qui fut jadis un homme, une figure, un destin, un paysage. On ne les voit plus, on les devine. C’est par les yeux, les orifices, la bouche qu’entre la nuit dans la face humaine.

À la fin de sa vie, et alors que la cécité le menace, Music figure un Penseur de Rodin guetté par l’épuisement. Un homme voûté, nu, se dissout lentement, dans un poudroiement de lumière pâle. La nudité n’est que le dépouillement ultime, le prélude au grand départ. Music ne confirme ni ne dément aucune révélation religieuse : son art est neutre et peut convenir au croyant autant qu’à l’athée. Son modèle est réduit à une silhouette, une chose farouche déjà perdue dans les ténèbres.

La débâcle de la forme attaque même la nature : et comme les cadavres du Lager évoquaient pour Music des tas de petit bois, des racines d’arbres enchevêtrées, les collines siennoises lui font penser à des gisants aux côtes saillantes. La paix rurale est à son tour contaminée par l’horreur. Les rochers sont des quasi-êtres humains qui se soulèvent, les agonisants des éléments naturels, prêts à être engloutis. Une même solidarité, une même sympathie universelle relie les bêtes, les végétaux, les pierres et les montagnes. Grande synthèse dans l’apaisement du temps. Au fond de l’espèce humaine comme des espèces végétales ou animales, un même courant anonyme précipite les choses vers la destruction. Qu’est-ce que la mort ? Un processus de réabsorption dans l’indistinct. Ce qui était un être singulier, homme, cheval, arbre, colline se fond dans le grand tout et prend d’autres aspects. Le magma a tout avalé. Au plus profond de soi, Music découvre la loi implacable des métamorphoses qui broie sans répit les vivants, les paysages, la matière vouée à mourir, à se transformer, chacun à son allure propre. Seule l’acuité d’un tableau peut racheter l’effondrement général.

Il existait au XIXe siècle tout un art de la photographie post mortem où le défunt, jeune ou vieux, était mis en scène avec les vivants dans un portrait de groupe. Music fait l’inverse : il installe les vivants en position de défunts et les saisit à ce point où ils vont s’abîmer, dans la grande paix de l’anéantissement. C’est cela que médite son anachorète dans la série du même nom : il goûte la fragilité de l’existence, au bord de l’exténuation. Un fantôme contemple le néant et se prépare au grand voyage. L’art est une grâce fragile conquise sur l’extinction.

Pascal Bruckner

_____________________

Pascal Bruckner: Zoran Music, Painting Before Night Comes

With Zoran Music, everything begins in a haze, with a veil that simultaneously hides and reveals. His paintings strike us first of all by their hue, the color of baked earth that covers the entire surface. He softens our gaze the better to sharpen it—he obliges us to focus. The muted tone forces us to seek clarity, to seek a direction among the shadows. Music always paints the world filtered through the softness of ocher, a background light or basic monochrome from which he teases out shades of gray or pale blue, or yellow or faded orange—like a symphony played on a single note, whose harmonics and differences in tone are only discovered little by little. The canvas doesn’t leap to the eye, the beholder has to sink slowly into it, through progressive immersion. The eye is not dazzled or drawn by any stark contrasts of color, there is just an unsettling chiaroscuro. Each of Music’s paintings must not just be seen but contemplated. Sepia places the content in a kind of eternal, timeless yesteryear.

As a Central European artist, a product of the Austro-Hungarian Empire raised in three languages—Italian, German, and Slovenian—and educated at the school of fine arts in Zagreb, Music might have remained a talented landscape painter sketching the graceful horses of Dalmatia, the back alleys of Venice, and the hills of Karst (an eroded region deforested by the Venetians in order to build their pilings). Or ferries crossing rivers, full of oxen like some Biblical Noah’s ark. He celebrated the world that predated the catastrophe, a felicitous nature. His dry-point engravings and lithographs evoked primal Amerindian arts. The deliberately traditional Music claimed he had been marginalized by the painterly avant-gardes of his day, stifled by the wordy dogmas of the abstractionists, cubists, and surrealists. But this predicament redounded to his advantage. Unlike the “subversive” artists of his day, Music did not seek to scandalize the easy-going bourgeoisie of democratic nations through the din of manifestoes and challenges to existing forms. He went one better, confronting something far worse: Nazism, which dispatched him to a concentration camp. Arrested by chance by the Gestapo in Venice in 1944, suspected of having links with the Allies, Music was tortured and then sent to Dachau, after having turned down—with a laugh—a German officer’s suggestion that he join an auxiliary SS force.

This ordeal might have killed Music. But it turned out to be self-revelatory. Sometimes, in the creative process, a period of oppression is indispensible: just look at Alexander Solzhenitsyn, Varlam Shalamov, Vasily Grossman, Primo Levi, and Robert Antelme, who transformed their sufferings into terrific oeuvres. Then there was the admirable Margarete Buber-Neumann, whom Stalin handed over to the Gestapo and who experienced both kinds of totalitarianism, Soviet and German, first through an “improvement camp” in Kazakhstan in 1937 and then in Ravensbrück early in World War II.

As a way of escaping the horror, Music began a series of sketches on camp life as soon as he could, with whatever materials he had at hand, unknown to his guards. Only two hundred of those drawings would survive. Offering his fellow torture victims a tomb of paper and ink, he attempted to record their spidery fingers and the “countless steely sparks” of the their eyes. Around him he saw only the dead and dying.

“I drew as though in a trance, morbidly clinging to my scraps of paper. It was as though the incredible vastness of those fields of corpses had blinded me. I clung to countless details as I sketched. What tragic elegance there was in those fragile bodies. Such precise details: those hands, those skinny fingers, the feet, the mouths half open in a final attempt to draw a little more air. And the bones stretched with white skin, just a shade bluish. And the obsession of not betraying those diminished shapes, of managing to make them just as precious as I saw them, reduced to essentials.”

Dying meant streamlining, being reduced to the thinness of a line, a stroke. Seeing these sketches evokes Goya, Georg Grosz, and Otto Dix—who influenced Music—yet without their exaggerated caricature. There is a tenderness about Music’s hellish vision, as well as a rejection of gratuitous violence. Next to Music, Picasso’s Guernica looks like an inspired advertising poster: too wordy, too familiar, too bandied about, part of the huge consumerist circus. Music’s dead are more modest. They do not scream or twist to gaudy effect—and that’s why they move us. Their genitals are dark voids like their mouths; just a memory, an outline. Music invented an aesthetics of discreet awfulness.

Very schematically, allusions to death in Western painting have taken one of two paths: vanitas or ghost. A vanitas stresses the fleeting nature of life, the fact that, in Bossuet’s magnificent words, “man is worthless in so far as he is transitory, and infinitely worthy in so far as he attains eternity.” From the herds of the damned being driven toward hell in Bosch’s paintings, to the danses macabres of Holbein and Michael Wolgemut, all men and women are shadowed by a corpse that loves, dreams, and feasts by their side, steadily drawing them toward their demise. Gentlemen, princes, merchants, yokels, girls—everyone is living on borrowed time. The Grim Reaper, patiently inhabiting the air we breathe, the flesh we are made of, every beat of our hearts, awaits his moment. And, like the demons we try to flee, he always catches up with us.

But the dead—enraged at having departed before the others, at having left so many healthy souls on earth—become agitated in their feverish, endless existence, and so return to haunt the living. Right from the Middle Ages there emerged a macabre art with erotic connotations: scenes of making love in the grave, of corpses endowed with genitals taking advantage of sweet young things. Death is not content merely to carry off people of all ages, it ravishes them in macabre embraces, as seen in a famous painting by Hans Baldung Grien in which Death, skull still sporting wisps of graying locks, grabs a naked Maiden by the hair to drag her into the grave (1517). That same year, Niklaus Manuel Deutsch depicted a corpse kissing a young woman on the mouth while fondling her genitals. These dead, prefiguring our modern zombies, constituted a troubling population—never at rest, they made strange sounds, devoured their shrouds, were driven by inadmissible cravings, and sprang from their graves to trigger epidemics and spread terror among towns and countryside.

Music reconciled these two visions. The concentration camp was an initiatory ordeal for him, a path toward the truth—if one he postponed. As soon as he was released from Dachau by American troops, the gravely ill Music put the nightmare behind him, becoming intoxicated with light and beauty. For twenty-five years he painted bucolic scenes in Dalmatia and Italy, indulging in his passion for nature and stretches of semi-wilderness. The period of abjectness was never mentioned. But around 1970, the lessons of Dachau forcefully resurfaced in his work; he began an extraordinary series titled We Are Not the Last. Elation was followed by a pitiless confrontation with terror. Dachau became the mental realm of Music’s inspiration, one that never left him. The dying look to the sky vacantly, mouths open, godless, while others seem to sleep, frozen in grotesque positions like old children lying in a bed. Music was gripped by “the horrible beauty of those wasted bodies.” Piles of the dead cluster in a mound, arms and legs dangling, drenched in a kind of pink light. Some seem to want to speak up, a little like those premature babies lacking lungs and vocal cords, howling silently in their cradles. They debate wordlessly, a parliament steeped in pathos. Others are seated, naked, skinny, waiting to lose the little strength that remains. Still others seem to laugh, as though delighted to leave this world—unless their grins are just an involuntary contraction of the jaw. Their heads are dark, like fruit already turning rotten.

Music’s recumbent figures are not like those strapping corpses of medieval engravings, not like the cheerful hanged men and the dead in popular Mexican imagery who frolic and dance. His dead are naked, destitute. Their death brings no redemption, it confirms their total dereliction. Music is anti-baroque par excellence, he avoids both pathos and fright. He pays tribute to the dead with compassion and affection. He shows human beings at the end of all their suffering, illness, exodus, and hunger—at the moment they give up the ghost. The army of the dead is too numerous. There are too many of them, everywhere, at all times, invading space. Exhausted, they fall in clusters, while survivors pile them into groaning mounds. In Music’s work, economy of means is the path toward the essential. To anyone who has been through Hell, no return is possible. The world is broken, serenity is gone. Going from ignominy to stupor, Music had to keep his eyes trained on the abyss right to the end.

There then began a final period to Music’s oeuvre. He turned himself into a character from Dachau, looking at himself with the eyes of a dying man who should have remained in the Lager but who survived by chance. “See with eyes closed,” Music used to say. Thereafter he followed only an inner vision, doing more and more self-portraits, alone or in a couple with his wife Ida, of whom we see just the halo-like chiffon of her red or chestnut hair. Faces are depicted only in so far as they are effaced or suggested. Hazy silhouettes replace individuals. Two ghosts united in the twilight—like negatives that never print, remaining hopelessly blank. Beings have no substance or outline; they are scarcely evoked, then rubbed out. Seemingly swallowed by quicksand. Philosopher Emmanuel Levinas viewed the face as the essence of nudity, the vulnerability that obliges us to reply to the Other. Music’s canvases no longer provide a hold on that illusion. His faces are just an imprint with dark patches for eyes and mouth. Since their features have been effaced, we are unable to look hard at them, to recognize them. There remain only traces, fading outlines, like some Shroud of Turin. For Music, the concentration-camp experience led to the disappearance of faces: identity has evaporated, so there can be no Otherness. As he aged, he eliminated himself, in turn, through formlessness. Only a black patch, a halo or ring, indicates the spot were once there was a man, a face, a fate, a landscape. They can no longer be seen, they must be intuited. It is through the eyes, the mouth—the orifices—that night comes to the human visage.

Toward the end of his life, threatened by blindness, Music depicted a Rodin Thinker on the verge of exhaustion. A bent, naked man slowly dissolves in a powdery, pale light. Nudity is merely the final stripping down, a preparation for the final departure. Music neither confirms nor denies any religious revelation—his art is neutral, and can speak to both believers and atheists. His sitter is reduced to an outline, to some shrinking thing already lost in the shadows.

The disintegration of shapes even affects nature: just as the corpses in the Lager made Music think of heaps of kindling or tangles of intertwined roots, so the hills of Siena reminded him of recumbent figures with protruding ribs. Rural serenity thus becomes contaminated by the horror, too. Rocks become quasi-human beings who rise up, nature’s dead and dying, just before being swallowed up. A similar solidarity—a similar, universal sympathy—unites animals, plants, stones, and mountains. A globality quietly emerges over time. Deep in the human species, as in animal and plant species, the same nameless current pushes things toward destruction. What is death? A process of returning to indistinctness. What had been a singular entity—man, horse, tree, hill—merges into a great whole, adopting other appearances. The magma swallows up everything. Music discovered, deep down, the implacable law of metamorphosis that relentlessly crushes the living, the landscape, and all matter doomed to die, to be transformed, each at its own pace. Only the acuteness of a painting can redeem the overall dissolution.

In the nineteenth century there existed an art of post-mortem photography in which the deceased, whether young or old, was staged in a group portrait along with the living. Music did the opposite: he set the living in the pose of the deceased, recording them just as they slide into the great serenity of nothingness. That is what the hermit of his Anchorite series is meditating: on the verge of exhaustion, he senses the fragility of life.  A ghost contemplates the nothingness, preparing for the grand voyage. Art is a fragile grace accorded over extinction.

 Pascal Bruckner

Nouvelle École de Paris et résilience du marché

La Newsletter Professionnelle d’Art Media Agency (AMA) est une publication hebdomadaire disponible en français et en anglais. Sur 40 pages et plus de 100 articles, elle détaille chaque vendredi toute l’actualité du marché de l’art international.

Je vous invite à lire ci-dessous l’interview pour cette publication que j’ai donnée à Clément Thibault :

 

CT     Depuis 2004, Franck Prazan a pris la succession de son père Bernard Prazan à la tête de la galerie Applicat-Prazan, située rue de Seine et spécialisée dans la Nouvelle École de Paris (1945 – 1965). En 2010, il a ouvert un second espace rive droite, avenue Matignon. Auparavant, Franck Prazan a notamment exercé en tant que directeur général de Christie’s France et mené l’installation de la maison de ventes avenue Matignon à Paris. La galerie Applicat-Prazan sera présente du 9 au 18 septembre 2016 dans les allées de la Biennale des Antiquaires.

 

CT     Votre galerie est spécialisée dans la Nouvelle École de Paris. Le concept d’« école » induit l’idée de programme, d’enseignement. Est-ce le cas avec la Nouvelle École de Paris — concept que Lydia Harambourg a déjà battu en brèche ?

FP    Cette question revient de manière récurrente. La Nouvelle École de Paris englobe un certain nombre d’axes plastiques très variés, foisonnants. Il s’agit d’une marque, d’un élément de marketing que les galeries d’après-guerre ont employé plus que la qualification d’un mouvement plastique bien identifié.

La « Nouvelle École de Paris » se rapproche plus volontiers d’un label, identifiant un espace géographique qui, après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’aux années 1960, a constitué le lieu privilégié par les artistes, collectionneurs, marchands et critiques. Jusqu’au début des années 1960, on considère que Paris représentait encore près de la moitié des transactions d’art dans le monde occidental.

Dans la Nouvelle École de Paris se côtoient des peintres de tradition française comme Roger Bissière, Alfred Manessier, Jean René Bazaine ; des peintres qui vont évoluer vers l’abstraction lyrique dont Wols est l’instigateur et Georges Mathieu le théoricien ; des peintres purement abstraits sans être concrets comme Pierre Soulages, Hans Hartung et Gérard Schneider ; des artistes surréalistes, etc.

Dans les années 1950 à Paris, 350 artistes vivaient de leur peinture. La liste longue de la galerie comprend une trentaine d’artistes. Notre liste courte, celle que l’on retrouve le plus souvent sur nos cimaises et dans les salons internationaux, recense une dizaine d’artistes.

 

CT     On donne souvent comme point de départ à la Nouvelle École de Paris l’exposition « Vingt peintres de tradition française » (1941, galerie Braun) organisée par Jean René Bazaine. De quelle tradition s’agit-il ? N’était-ce qu’une pirouette pour éviter la censure de Vichy ?

FP    La question de l’Occupation et de la place de la culture française — et de sa tradition — dans un monde contraint était prégnante. Les artistes de l’exposition s’étaient placés en rupture avec une époque qui ne leur laissait pas la place qu’ils méritaient.

L’enjeu sémantique se trouve bien autour de l’idée de « tradition ». À cette époque, l’abstraction était sur le point d’occuper tout l’espace pictural. Les artistes de cette exposition ne sont néanmoins jamais entrés pleinement dans le champ de l’abstraction. Certes ils n’étaient plus figuratifs, mais ils demeuraient représentatifs.

La véritable rupture formelle est intervenue après la guerre en séparant — en schématisant — les peintres de tradition française qui ont continué à décrire, en s’éloignaient formellement du champ du réel mais sans passer par l’abstraction pure, et d’autres peintres qui ont réellement rebattu les cartes. Les peintres de tradition française n’ont volontairement jamais opéré cette rupture : leur travail continuait à partir d’un sujet pour l’étudier formellement.

Ce passage par le point zéro a réellement eu lieu en 1946, car les artistes ont plus eu l’occasion de s’exprimer. C’est à ce moment que Pierre Soulages, Hans Hartung, Gérard Schneider, entouré de jeunes marchands comme Lydia Conti ou Colette Allendy, ont proposé une rupture totale avec le sujet, mais aussi avec tous les acquis directs de la tradition picturale.

 

CT     N’était-ce pas également une manière de sortir de l’ombre des géants qu’étaient Picasso, Matisse ou Bonnard et dont la présence était encore très forte après la guerre ?

FP    Pas seulement. L’objectif était de tout remettre à plat : les acquis de l’expression plastique, les thématiques politiques, l’histoire du pays. La rupture opérée au sortir de la guerre allait bien plus loin qu’un simple dialogue interartistique. Elle s’inscrivait dans la refonte totale d’une société.

Par ailleurs, toutes les formes d’expression et de pensée se côtoyaient et dialoguaient. Georges Mathieu a fait venir à Paris les peintres qui allaient devenir les expressionnistes abstraits américains dès la fin des années 1940 et les peintres français ont exposé dès 1949 aux États-Unis. La société reconstruisait ses modèles, qu’ils soient économiques ou sociaux, et la peinture n’a pas échappé à cela.

 

CT     Ces artistes ont émergé dans un fort contexte de marché — on peut citer les galeries Lydia Conti, Denise René, les Salons Réalités Nouvelles, d’Octobre… Les institutions françaises ont-elles soutenu ces artistes en rupture ?

FP    Les institutions françaises n’ont certainement pas eu le rôle qu’ont joué les musées américains pour les expressionnistes abstraits où un véritable écosystème artistique s’est créé, composé d’institutions, de marchands, de critiques, etc. Tous les acteurs du marché de l’art — car c’est de cela qu’il s’agissait — se sont agglomérés pour qu’il n’y ait pas de différence marquée entre les domaines de la culture et du marché.

En France, cela n’est pas arrivé, même si André Malraux a eu un rôle central dans l’émergence de la culture après-guerre. La frontière qui existe entre le rôle régalien de l’État, notamment en matière de culture, et le marché a toujours été forte. Les institutions ont joué leur rôle en acquérant des œuvres et en organisant des expositions, mais toujours avec une méfiance forte envers le privé et ses mécanismes — une inertie encore visible aujourd’hui. Cela explique, ce me semble, le déclin de Paris par rapport à New York. Aux États-Unis, artistes, collectionneurs, marchands, instituions et critiques ont formé un tout pour projeter la culture américaine à l’étranger, comme s’est projeté un modèle de société à travers la mise en place du Plan Marshall.

 

CT     Il y avait des porosités entre les Écoles de Paris et de New York, ne serait-ce que l’exposition « Young Painters in U.S. & France » à la galerie Sidney Janis en 1950. Les passerelles entre ces deux centres étaient-elles importantes ou s’est-il écrit une histoire de l’art bipolaire ?

FP    Avant Sidney Janis et d’autres expositions, il ne faut pas oublier l’élément central du dialogue entre les États-Unis et la France qu’a été la Seconde Guerre mondiale. La plupart des artistes  surréalistes, de par leur positionnement politique et leur amour invétéré de la création, sont partis de Marseille pour aller à New York, notamment grâce à l’action de Varian Fry. Les artistes français qui se sont réfugiés pendant la guerre aux États-Unis ont eu une influence considérable à New York — et ce qui allait devenir après-guerre l’expressionnisme abstrait. Sans la présence d’André Masson aux États-Unis, que serait-il advenu d’un Pollock par exemple ?

Après-guerre, les artistes sont revenus en Europe et les échanges ont bien naturellement continué. Ne serait-ce que Soulages, Zao Wou-Ki, George Mathieu ou Schneider qui ont eu comme principal marchand Samuel Kootz (New York) dans les années 1950 et qui ont vendu aux collectionneurs américains. Au début des années 1960, cette collaboration, ces échanges fructueux sont arrivés à un point où les États-Unis, par leur dynamique et leur positionnement hégémonique, ont submergé la création française et européenne.

 

CT     Il existe un mouvement global de redéfinition de la peinture à cette époque qui, loin de s’arrêter à la France et aux États-Unis, englobe notamment le néo-concrétisme au Brésil ou Gutaï au Japon. Est-ce le fait de porosités entre scènes artistiques ou la refonte des systèmes de pensée que vous évoquiez précédemment ?

FR    Selon moi, c’est la conséquence de la déflagration de la guerre, de la reconstruction et de la recherche de nouvelles bases, de nouvelles pistes. Après la bombe atomique, les artistes ne pouvaient plus réfléchir de la même manière. Cette idée du désastre absolu, comment la traduire ?  Comment la retranscrire formellement ? Les artistes traduisent, voire anticipent, leur temps.

Chaque artiste avec ses propres arguments, différents selon les cultures et les pays, ne pouvait plus en revenir à la tradition. On l’a d’ailleurs reproché aux artistes de tradition française qui ont cherché à remodeler la peinture, mais sans s’éloigner de ses codes — ce qui est louable d’ailleurs car cela a permis d’instaurer un débat, mais qui a néanmoins été englouti par cette remise à zéro.

 

CT     Pierre Restany a été un grand promoteur de la Nouvelle École de Paris, avant de fonder le Nouveau Réalisme au début des années 1960. Qu’indique ce changement de position ?

FP    Les peintres de l’École de Paris perpétuaient un modus operandi, celui de la peinture. Progressivement, et au début des années 1960, avec l’avènement des mouvements pop au sens large — incluant le Nouveau Réalisme en France —, la peinture en tant que finalité a perdu sa suprématie au profit d’autres moyens, plus conceptuels, faisant référence à l’idée — la mise en œuvre étant plus subsidiaire. Certains avant-gardistes ont observé ce passage, l’ont théorisé et ont constaté ses nouveaux points d’ancrage. C’est le cas de Pierre Restany. Michel Ragon par exemple, a choisi d’accompagner la peinture.

La programmation de notre galerie s’arrête à ce moment de rupture qui apparaît avec Yves Klein — l’un des premiers « artistes contemporains ».

 

CT     Côté marché, comment avez-vous vu évoluer le marché de l’art depuis que vous avez pris la direction de la galerie, il y a douze ans ?

FP    S’il y a bien un domaine dans lequel la globalisation trouve à s’accomplir, c’est dans le domaine du marché de l’art. Des particularismes demeurent, mais le marché est devenu très large, très ouvert — très complexe également. C’est pour cela que tous les moyens qui permettent aux collectionneurs et acteurs de se focaliser sur des temps forts sont privilégiés, d’où la prépondérance des ventes publiques et des foires internationales.

 

CT     Dans un marché complexe, l’évènement devient le point d’ancrage majeur?

FP    Absolument, en dehors de ces deux grands temps forts que sont les ventes publiques et les foires — qui par ailleurs parviennent souvent à mettre en commun leurs agendas —, le marché est trop morcelé. Nous concernant, la très grande majorité de notre activité se fait durant les foires — un minimum de 80 %, même s’il est toujours très difficile de quantifier cela avec précision.

Internet joue un rôle important, mais seulement en tant que véhicule d’information. Le marché de l’art est un secteur très résilient. Aujourd’hui, en terme de transactions, Internet représente 5 à 7 % des ventes, un chiffre qui demeure relativement stable, contrairement à d’autres secteurs économiques où les axes de progression font que les business traditionnels sont voués à disparaitre. Ce n’est pas le cas du monde de l’art, d’autant plus que les ventes sur Internet se focalisent plus sur des objets édités à plusieurs exemplaires : bibliophilie, objets de collection, estampes, etc. Pour tout ce qui est oeuvre unique, la confrontation à l’oeuvre et sa nécessité font que le commerce en ligne d’oeuvres d’art reste — et restera — marginal. En revanche, les moyens de communication via les plateformes de communication sont devenus des éléments tout à fait prépondérants.

 

CT     Malgré cela, la galerie doit demeurer un maillon essentiel du marché de l’art.

FP    Il faut faire la distinction entre le premier et le second marché. Au premier marché, la galerie reste l’outil principal, un outil d’agent. Au second marché, on pourrait penser que la galerie a perdu de sa raison d’être, si ce n’est que l’on ne peut pas participer aux grandes foires si l’on n’a pas de galerie. La galerie est devenue un maillon important en amont et en aval des foires.

 

CT     Pour revenir sur une tribune de votre blog, vous soulignez que l’une des difficultés des marchands en Europe est la faiblesse de leurs fonds propres…

FP    L’activité de marchand d’art est un domaine très capitalistique — sur le premier comme sur le second marché. Nous jouons deux rôles : celui d’intermédiaire et d’acheteur. Nous constituons du stock et nous accompagnons les vendeurs. La capacité d’une galerie à se projeter dans l’avenir repose sur cette donnée fondamentale qu’est le stock — même sur le premier marché.

S’il existait des organismes financiers qui permettaient aux galeries de constituer du stock en apportant un concours bancaire sur la durée, ce serait un moyen de répondre à cette problématique. Cependant, l’actif « œuvre d’art » est très mal compris des institutions financières.

Nous avons présenté une mesure l’année dernière avec le comité des galeries d’art et le syndicat des antiquaires en conférence budgétaire. Elle a fait l’objet d’un amendement au projet de loi finance 2016, qui n’a pas prospéré, mais qui cette année peut encore être débattu.

L’idée consiste en la possibilité pour les marchands d’amortir leur stock sous la forme d’une provision — la notion d’amortissement n’est pas compatible avec l’œuvre d’art qui ne se déprécie pas —, en leur accordant un crédit d’impôt — ce qui ne bénéficierait qu’aux galeries faisant du résultat et payant un impôt. Grosso modo, vous achetez un stock 120 et vous avez la possibilité à la fin de l’année de passer une provision de 40 sur trois ans à condition que l’année suivante vous réutilisiez au moins 40 pour acheter du stock. On s’inscrit donc dans la durée et dans un cercle vertueux. Ce modèle existe déjà dans d’autres pays. Le stock est le gage principal de profit futur.

 

CT     Que souhaitez-vous montrer à la biennale des Antiquaires ?

FP    Nous allons montrer une sélection assez large incluant nos plus grands artistes comme Pierre Soulages et Nicolas de Staël, mais aussi le plus beau tableau de Camille Bryen que je n’ai jamais eu entre les mains et un Alberto Magnelli des années 1940. L’idée est de proposer un large éventail de prix pour les collectionneurs — de 100.000 € une limite très basse aujourd’hui pour les œuvres peintes malheureusement, jusqu’à 3 ou 4 millions d’euros.

 

Pour vous abonner à la Newsletter Professionnelle d’Art Media Agency (AMA)