Rouvrons!

26 ans dans le marché de l’art ! À titre onéreux s’entend, sans compter les années de bénévolat ! Je suis familier des maisons de ventes, j’en ai dirigé une ! Pas une personne que je connaisse et qui y travaillerait pour se réjouir de cette curiosité ethnographique française : les Sociétés commerciales de Ventes Volontaires aux enchères publiques (SVV) sont ouvertes au public, notamment dans le cadre des expositions qu’elles organisent, quand nous, galeries, avons dû fermer nos portes !

Sommes-nous inégaux devant la prophylaxie covidienne ? Absolument non ! Voici, à titre d’exemple, le protocole que nous appliquons à la galerie :

  1. Matignon : 5 personnes sont admises à la fois en sus du personnel (42 m² public / 8) ;
  2. Seine : 3 personnes sont admises à la fois en sus du personnel au RDC (26 m² public / 8) ;
  3. Elles sont appelées à respecter une distanciation physique d’un mètre au minimum entre toutes les personnes présentes dans l’établissement ;
  4. Toutes doivent porter un masque, soit qu’elles l’auront déjà avec elles, soit que nous leur fournissons gratuitement ;
  5. La porte principale doit rester sur ouverture commandée afin de faire respecter la jauge ;
  6. Du gel hydro-alcoolique est mis à disposition des visiteurs qui sont invités à en faire usage à l’entrée ;
  7. Les livreurs et coursiers (autre que d’œuvres d’art) restent sur le pas de la porte et ne pénètrent pas dans l’enceinte de la galerie ;
  8. Les consignes sont clairement affichées sur la porte, visibles depuis la rue ;

Sommes-nous concurrents ? Absolument oui ! Voici pourquoi :

  1. Nos clients vendeurs sont les mêmes : ils ont le libre choix entre vendre en public aux enchères (SVV) ou vendre en privé (SVV + galeries) ;
  2. Nos clients acheteurs sont les mêmes : ils ont la possibilité d’acheter en public aux enchères (SVV) ou en privé auprès des galeries (ou SVV puisqu’elles pratiquent également cette activité privée dans les mêmes locaux que leur activité publique !) ;
  3. Les modes de promotion, savoir les expositions dans des espaces accessibles au public sont exactement les mêmes, de même que la production de catalogues ;
  4. Sur 3,37 milliards d’euros de produit adjugé pour la France en 2019, tous secteurs confondus, 1 milliard d’euros relève du secteur « Art et Antiquités », celui constituant précisément le cadre de notre concurrence. Christie’s (200 M€), Sotheby’s (289 M€), Artcurial (161 M€), et Drouot (302 M€ pour 60 SVV), toutes localisées à Paris, et quasi exclusivement dédiées à ce secteur, totalisent 952 M€ de produit adjugé, soit à Paris 95,2% du total France ! Or les galeries, en tous cas celles qui adhèrent aux organisations représentatives de leur profession, sont à près de 90% également localisées à Paris. Et encore, je ne prends pas en compte pour mesurer cette concurrence le produit des ventes privées réalisé par les SVV, ni celui des lots adjugés à Londres, New York et Hong Kong en provenance de la France !;
  5. S’agissant des autres secteurs du produit adjugé par les SVV, « Véhicules d’occasion et matériel industriel » ou « chevaux », les acteurs privés de la concurrence sont eux, par opposition aux galeries, tous ouverts à leur public !
  6. Les ventes judicaires qui sont l’apanage des officiers ministériels n’entrent par définition pas dans le champ concurrentiel puisqu’elles relèvent d’un monopole !

Existe-t-il donc dans ce contexte une logique à la décision qui a conduit à fermer les galeries et à laisser les SVV ouvertes au public ? À mes yeux, aucune, mais il y a une explication :

  1. D’abord, pour des raisons historiques et structurelles, nos ministères de tutelle ne sont pas les mêmes, et leurs voix s’expriment donc de façon différenciée ;
  2. Le marché de l’art, j’ai souvent eu l’occasion de l’expliquer, est difficile à appréhender pour les décideurs publics. Je ne me sens donc pas autorisé à les blâmer, surtout lorsque les choix qui s’offrent à la décision sont sans doute les plus cornéliens depuis la crise de Cuba en 1962 (qui, il est vrai, ne concernait la France que très collatéralement…) ! Le marché de l’art est par nature contre-intuitif ! La rareté n’y fait pas forcément le prix (souvent bien au contraire…) ! Les clients y sont autant les acheteurs que les vendeurs qui, contrairement aux idées reçues, ne sont donc pas des fournisseurs ! Les États s’y enrichissent de leurs importations quand ils s’y appauvrissent de leurs exportations ! Les galeries, les marchands sont les clients des maisons de ventes… qui sont leurs concurrents !

Comprenne qui pourra… mais rouvrons les galeries !