Boualem Sansal : Zoran Music, La peinture ou la vie (ou la voie du néant)

Personne mieux que Jean Clair n’a parlé de l’Art de Zoran Music. Comment par conséquent apporter un éclairage pertinent à l’exposition qu’Applicat-Prazan consacrera à cet immense Artiste, et que nous inaugurerons à la Fiac prochaine ? J’ai choisi de confier à trois grands auteurs et témoins de leur temps le soin d’écrire les textes de notre catalogue à l’aune de leur approche toute personnelle du cri, de l’homme et de son message.

Oh combien d’actualité, vous en jugerez… !

En avant-première de la sortie du catalogue co-édité et distribué à partir d’octobre 2016 par Skira, et dont vous verrez que c’est un très bel objet, je soumets ici à votre lecture, en trois publications successives, les travaux de Boualem Sansal, Pascal Bruckner et Michaël Prazan.

La traduction anglaise de Deke Dusinberre suit la version française en bas de page.

 

No-one can talk about the Art of Zoran Music better than Jean Clair.  How else could we gain a relevant insight into the exhibition that Applicat-Prazan is to devote to this immense Artist, and which will be inaugurated at the forthcoming FIAC?  I chose to entrust the texts of our catalogue to three great authors, witnesses of their time, in the very terms of their personal approach to the cry, to the man and to his message.

And still it continues, as you will judge for yourselves…!

As a preview of catalogue – a beautiful object in itself – co-published and to be distributed in October 2016 by Skira, I am pleased to present for your perusal in three successive publications, the texts of Boualem Sansal, Pascal Bruckner and Michael Prazan.

The English translation by Deke Dusinberre follows the French version further down the page.

 

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Boualem Sansal : Zoran Music, La peinture ou la vie (ou la voie du néant)

 

Être en vie n’est pas vivre, c’est de temps à autre se souvenir qu’on est sur le chemin de la mort.

Entre deux alertes, deux frayeurs, on se consume dans la ronde insignifiante et brutale des jours.

Et un soir de brume glacée tout s’arrête dans un abominable silence.

Debout dans le vent, raides comme des i, les gens voient une fumée tournoyer et disparaître dans le ciel, puis, écœurés par les odeurs de suint brûlé, retournent à leurs incompréhensibles occupations sous le regard acéré des maîtres des choses et du temps.

Cette nuit, leurs cauchemars auront la fièvre.

Les condamnés s’affolent, encore une fois ils font le même horrible calcul : plus nombreuses seront les vies arrachées à la terre, plus vite arrivera notre tour d’être fauchés.

Imperturbable, le compte à rebours continue de rythmer le cours du temps.

Ils refluent dans les rangs en marmottant tout ce qu’ils savent de supplications pendant que la masse sidérée est poussée dans le dos vers la gueule béante du vide.

Les miraculés de la journée se réjouissent, demain est un autre jour, se disent-ils en relevant la tête, la mort elle-même n’est pas assurée d’être de ce monde au prochain réveil.

S’il n’y a pas de vie, il n’y a pas de mort, enseignent-ils, faisons-nous petits et humbles et la Mort sublime dans sa grandeur ne nous verra pas.

Ils s’enferment dans le silence comme dans un linceul et réduits à leur ombre, glissent sur les murs et s’évanouissent dans la nuit.

Ici et là, tapis dans des encoignures obscures, des individus fébriles regardent leurs poignets décharnés comme s’ils portaient encore leurs montres d’antan, quand le temps leur appartenait, puis se relâchent, soulagés, mais point trop pour ne pas se laisser surprendre.

Ils savent des choses, les horaires, les séquences, les rondes, et possèdent le don de pressentir les contrôles inopinés.

Au guet, on ne se fait pas prendre deux fois.

Il en est qui, arrivés au bout du rouleau, s’enhardissent à chaparder quelques pauvres secondes, si précieuses dans le bel ordonnancement du camp, pour envoyer des SOS dans le ciel.

Ils prient à toute vitesse sans lever les yeux, sans remuer les lèvres, tremblant de tous leurs membres, et repartent en trottinant avec au-dessus de la tête une petite aura palpitante qui les dénoncera sans faute.

Luciole dans la nuit, la lumière qui te guide est ton pire ennemi.

Ces malheureux croient à ces choses, Dieu, les miracles, la bénédiction des ancêtres ; elles peuvent aider, c’est vrai, si la chance s’y met, il arrive que la machine coince, que le générateur grille ses charbons, que le gaz manque, que la foudre abatte le maître-pylône ou la cheminée maudite, que le commandant soit d’humeur heureuse.

Mais la chance est une loi de probabilité, elle joue dans un sens et dans l’autre, les deux parfois, le diable sait s’inviter en deux endroits différents quand on s’y attend le moins.

Et, force de l’entêtement, on trouve toujours une autre façon d’achever le travail.

Les minutes et les heures reprennent leur marche immobile et muette vers les ténèbres, ce jour est un jour comme les autres.

Avec le répit, revient la résignation qui apporte avec elle comme de la douceur.

La vie est opportuniste, pas exigeante pour deux sous, comme le sont les pauvres, elle profite de ce qui passe à sa portée, un rayon de soleil, le lamento du vent dans les arbres, une odeur de pain chaud, le chant d’un merle perché sur le barbelé électrifié… on se souvient tout à coup que le mot bonheur existe… a pu exister…  l’engourdissement menace…

Un cri d’alarme.

Il faut vite échapper au bien-être et retrouver la douleur et sa protection, le bonheur appartient au maître, c’est le premier commandement.

Bien d’autrui tu ne convoiteras, de la mort tu te contenteras.

Dans ce lieu hors du monde (quel nom lui donner : camp maudit, centre de relégation, trou noir, île de la perdition ? Officiellement il n’existe pas), le temps lui-même ne bouge d’aucune manière, c’est ici l’univers de la mort, elle seule besogne, sans relâche, avec une ferveur, une précision et une efficacité véritablement extraordinaires. On l’aime pour cela, non, on la respecte.

On se demande quel record absolu elle doit battre, la vie est insurpassable, on le voit bien, elle enfante toujours plus que la mort ne peut détruire et cela fait que l’humanité croît et se multiplie au point de constituer une menace d’extermination pour elle-même.

Cercle vicieux que de mourir de trop vivre.

Croissez, multipliez-vous sur terre et soumettez-la, avait dit la Voix à nos lointains et obéissants ancêtres.

Jamais ils ne surent pourquoi ils devaient si mal finir.

Et des vies, il en arrive chaque jour, des trains entiers soufflant et ahanant comme des bœufs de labour, bondés de vies toutes fraîches, bien innocentes, groupées en familles unies, inquiètes cependant, bien que prêtes à mourir, et la machine peine à les anéantir comme il se doit, en temps et en heure.

Aux limites extrêmes, on ne peut valablement incriminer la seule contingence, la technique, l’organisation ou le hasard, ici interviennent des forces transcendantes, insurmontables, l’humanité est une décimale dans cette colossale affaire.

D’où viennent-elles, ces vies, qu’ont-elles de si particulier qu’on leur consacre tant de moyens et de magies ?

On ne sait, on sait seulement quelle fin extraordinaire les attend.

En milieu clos la rumeur est assez unanime : à part la mort, on ne voit pas ce qui pourrait arriver d’autre.

L’espoir partagé reste quand même de mourir avant que l’attente ne devienne trop difficile à endurer.

Toute une légion sanglée et bardée s’affaire autour d’elles, qui s’énerve, hurle, cogne, fustige, trop d’arrivages, souvent de la mauvaise marchandise, impotente et débile, les moyens manquent, ça bouchonne partout, le commandant veut son quota quotidien, la machine aussi, elle peut faire un retour de flamme et avaler les machinistes et leurs aides, un mort est un mort en fin de compte.

Encore des heures supplémentaires.

Encore des dossiers à confectionner pour réclamer des renforts, des gaillards qui sachent enfin résister à la fatigue, à l’ennui, à l’isolement, au froid, à la pourriture.

Il ne sert à rien de multiplier à l’infini les engins de destruction, l’industrie la plus sophistiquée, comme la terre la plus féconde, est soumise à l’implacable loi des rendements décroissants.

Trop c’est trop quand supprimer est la finalité.

C’est le hic profond de l’ordre : l’organisation la plus efficace se règle fatalement sur le moins efficient de ses servants, comme la chaîne la plus forte du monde n’a que la force de son maillon le plus faible.

Les hommes les plus endurcis ne peuvent avancer plus vite que leurs enfants et leurs vieux parents.

Cela voudrait dire qu’au bout du bout, l’infini et le zéro se rejoignent, se valent, Dieu qui se tient en maître absolu en chaque point de l’univers ne vaut guère plus que la plus humble, la plus misérable de ses créatures.

Éliminer le faible serait donc cela : rétablir l’ordre du monde dans sa Verticalité primordiale, le monde appartient au plus fort, il est la vie et la mort, l’alpha et l’oméga.

S’il y avait d’autres lieux comme celui-ci, en d’autres endroits du monde, étaient-ils engagés dans le même Grand-Œuvre, quel but visait ce colossal holocauste, quel dieu se plaisait à ce culte, quelle intelligence humaine pourrait lui trouver le moindre bout de début de sens ?

Et les signes ? Le ciel n’en était-il pas plein ? Ne les aurait-on pas vus ? Pas reconnus ? On voyait bien les étoiles, pourquoi pas les signes ?

Rien ne vient du vide, la chair de la chair vient et l’esprit de l’esprit, toute chose a sa minière.

Une fin qui ne s’annonce pas a-t-elle du sens ? N’est-elle pas plutôt le début de quelque chose de mystérieux ? Cercle vicieux encore, le début est la fin et la fin est le début.

Personne n’a su répondre à ces questions.

Sans doute aussi que personne ne les a posées ou que nulle oreille ne les a entendues.

Quand personne ne parle, quand personne n’entend, il n’y a forcément personne pour voir, cela voudrait dire que la vie a disparu et que les hommes sont devenus des singes de pierre.

Peut-être apprendront-ils un jour à marcher ou à voler.

On peut y croire et l’annoncer : ici dans ce camp s’est écrit un épilogue qui se voulait un récit de commencement, la genèse d’un nouveau monde. La fin est le début et le début la fin.

oOo

Zoran Music a témoigné de ce magistère de la mort et de la vie qui, en ces lieux, en ces temps, faisait qu’elles s’enracinaient dans le même corps, telles des sœurs siamoises qui partagent le même tronc.

La mort existe dans la vie et la vie est déjà la mort.

Dans le camp, Music voit tout, il dessine jour et nuit, dans le secret et la peur, il croque des vivants en train de mourir et des morts pourrissants qui attendent d’être incinérés.

Il fait vite, va à l’essentiel, en quelques traits tremblants il saisit ce qui le blesse dans les profondeurs de son âme, une douleur sans fond, un questionnement sans fin.

Il faisait provision de mystères pour tout le temps qu’il lui resterait à vivre et assez même pour en léguer à la postérité.

Dachau est le nom de ce lieu maudit, il n’était pas une pauvre usine de souvenirs perdue dans la campagne mais le centre du monde et le plus vaste abattoir de l’histoire humaine.

Il en peindra tout le long de sa vie, la mémoire du camp est encore le camp et peut-être que le passé n’existe réellement que dans le futur.

Mais peindre n’est pas que peindre, c’est à chaque mouvement du pinceau se souvenir qu’un jour, un temps hors du temps, on a soi-même été un vivant et un mort unis dans le même corps et que dans ce couple incompatible, le vivant était un cadavre et le cadavre une fumée qui s’étiolait dans le ciel.

Ne peut raconter cet état dans sa vérité profonde que celui qui en a fait l’expérience, qui a pu en revenir, qui en a gardé la mémoire et la capacité de l’interroger.

Cet homme, ne peut le comprendre que celui qui a, lui aussi, traversé semblable épreuve.

Il n’y a de communion qu’entre soi, les morts parlent aux morts, les vivants aux vivants et les rescapés des camps aux rescapés des camps.

La douleur est le lien profond entre les hommes, elle n’existe au demeurant que parce qu’ils sont en interaction et que pourtant ils vivent dans la division et la surenchère.

Ce que l’homme nourri d’amour et de compassion cherche, c’est comprendre la douleur de l’autre pour comprendre la sienne propre et ensemble échapper au malheur.

Mais comment dire la douleur quand les mots pour la dire n’existent pas ou que la gorge est si serrée qu’ils ne sortent pas ?

Dire, par les mots comme le firent Primo Levi, Jorge Semprún et d’autres, ou par la peinture comme le fit Zoran Music, est un choix fatal ; dire, c’est rester dans la souffrance, la raconter c’est souffrir encore et encore car le récit ne peut jamais épuiser le vécu.

Toute sa vie de rescapé du camp, Jorge Semprún s’était posée la question : L’écriture ou la vie ?

Un de ses livres porte ce titre, il y résume le dilemme du rescapé : vivre ou mourir ? oublier ou ressasser ? dire ou se taire ?

En vérité, il n’y a pas de choix, on ne guérit jamais, car on ne peut oublier et on n’oublie pas parce qu’on ne peut pas dire et on ne dit pas parce qu’il n’y a pas de mots pour dire, et si ces mots n’existent pas, c’est que personne n’a retrouvé la vie et l’usage de la parole après la mort.

Cette douleur est orpheline, elle ne se rattache à rien, pas même aux faits qui l’ont engendrée. Le chaos du monde est infini.

C’est dans une couleur éteinte que Music a cherché les signes pour la dire, lui aussi s’était posé la question de savoir s’il fallait peindre ou vivre, lui aussi avait fait le constat que l’oubli était impossible et que, conséquence du principe de continuité, la souffrance est la seule vie à laquelle le rescapé peut prétendre.

Après un long temps d’insouciance voulue, recherchée comme un vrai remède, durant laquelle il a fait grande consommation de couleurs vives, de joies et de bonheurs parfaitement assurés, il est revenu vers le chevalet des jours sombres et a trempé ses pinceaux dans la douleur sourde qui l’habite et ne s’éteint jamais et il a peint ce qui ne se dit, ne se voit, ni ne s’entend.

Comme il y a l’indicible, il y a l’invisible et l’inaudible.

En vérité, tout nous échappe, nous ne savons rien du grand mystère des camps. Faut-il donc qu’il reste à jamais un inaccessible secret ?

Comment savoir alors ? Comment vivre ?

Qui nous dira ce que Zoran Music a exprimé dans ses dessins et ses peintures ?

Des vies abîmées, des morts, des cadavres, de la fumée, des cendres, des hontes, des pleurs taris…

Mais encore ? mais encore ?

Qu’y a-t-il au-delà du pourquoi et du comment, de l’avant et de l’après ? que signifient les faits par eux-mêmes ?

Rien, savoir n’est pas une réponse.

L’ignorance serait-elle donc indispensable à la vie ?

Elle la protégerait de quoi : la folie, l’abêtissement, la mort ?

 

Boualem Sansal

Rescapé des guerres et des camps en Algérie, numéro matricule 102/35000

 

Post-scriptum

Au moment où j’écris ces lignes à l’attention de ceux que la mémoire du passé tourmente, un étrange futur commence à se montrer sur terre ; il sera dur à vivre c’est sûr, les premiers échos en sont terrifiants.

En a-t-on vu les signes ?

Ces cris dans la nuit ? Ces foules hagardes sur les chemins bourbeux et le macadam brûlant ? Ces camps improvisés dans la jungle ? Ces enfants flasques qui marchent en dormant ? Ces ténèbres en plein jour ? Ces explosions de lumières qui irradient l’horizon et menacent d’éteindre le soleil ? Ces corps qui s’accumulent en tas, qui déjà ressemblent aux montagnes de cadavres que Music dessinait dans l’effroi ?

Hier, au temps de Zoran, on parlait d’un démiurge halluciné qui voulait dominer le monde.

Aujourd’hui, c’est Dieu lui-même dans toute sa gloire ressuscitée qui serait à la commande. À tous et à chacun, il ouvrira les portes de son paradis.

L’avenir sera cosmique, éternel et définitif. C’est la bonne nouvelle.

Dans ce monde enfin parfait, il n’y aura rien et personne pour le dessiner. Seulement Dieu et sa légion céleste.

Il est bon, frères, de se souvenir au présent de ce qui fut et de ce qui adviendra ; l’homme est ainsi, fait de mémoire, seulement de mémoire, ne l’oublions jamais.

 

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Boualem Sansal: Zoran Music, Painting or Life (or, The Path to Nothingness)

  

Being alive is not living, it’s recalling every now and then that you’re on the road to death.

Between two warnings—two frights—there’s the all-consuming daily routine, harsh and meaningless.

Then, on a cold misty night, everything comes to a halt in a dreadful silence.

 Standing in the wind, stiff as boards, people watch the smoke twist and vanish in the sky. Then, sickened by the smell of burning sweat, they return to their incomprehensible activities under the sharp eyes of the masters of all things and all times.

Tonight their nightmares will be feverish.

 Those condemned to death grow alarmed. They perform the same terrible calculation over and over again: as more and more lives are cut down, their turn to face the reaper grows ever nearer.

This imperturbable countdown regulates the flow of time.

 They slip back into their ranks, mumbling all known entreaties, while the stupefied mass is pushed from behind toward the gaping jaws of the void.

 The day’s survivors exult. Tomorrow is another day, they say, lifting their heads. Even Death itself may not be alive in the morning.

 If there’s no life, there’s no death, they say. Let’s just stay small and humble, and maybe Death, in its sublime grandeur, will overlook us.

 They wrap themselves in silence like a shroud. Reduced to shadows of themselves, they glide along walls and vanish into the night.

 Here and there, crouching in dark corners, feverish individuals look at their skinny wrists as though they still wore watches of yore, when time belonged to them. Then they relax, relieved, but not so much as to get caught napping.

 They know things—timetables, patterns, patrols. And they have a gift for sensing unscheduled inspections.

Always on the lookout—if caught, there’s no second chance.

 There are those who, at the end of their tethers, boldly sneak a few seconds here or there, so precious in the running of the camp, in order to send an SOS to heaven.

 They pray swiftly, not lifting their eyes or moving their lips, every limb trembling. Then they trot off, with a flickering little aura around their heads, which will surely give them away.

O firefly in the night, the light that guides you is your worst enemy.

 Those wretches believe in things: god, miracles, the blessings of ancestors. True, such things might help, if luck is on your side: the machine may seize up, the generator might blow, the gas may run out, lightning might strike the electricity pylon or that damned chimney, or the commandant might be in a good mood.

 But luck follows the laws of probability—it can go one way or other, sometimes both. The devil can be in two different places, just when least expected.

And anyway, out of pure stubbornness, they always find another way to finish the job.

 The minutes and hours continue their mute, motionless toward the darkness. This day is just like every other.

 With respite comes resignation, bringing with it something like sweetness.

 Life is opportunistic. Totally undemanding—like the poor—life will take whatever comes its way: a ray of sunshine, the sigh of the wind in the trees, the smell of hot bread, the song of a blackbird on the electric barbed wire. There’s the sudden recollection that the word “happiness” exists—or once existed. Numbness beckons.

 A warning shout.

 The sense of well-being has to be dropped instantly, replaced by the protective cloak of sorrow. Happiness belongs to the master, that’s the first commandment.

Thou shalt not covet anything that belongs to thy neighbor, thou shalt be content with death.

 Time in no way flows in this otherworldly place (what can we call it—accursed camp, relegation center, black hole, perdition isle? It doesn’t even exist, officially). This is the realm of death. Death alone labors, unceasingly, with truly extraordinary fervor, precision, and efficiency. That’s why we like it—or rather, respect it.

 What record is it trying to break? Life is unbeatable, that’s easy to see: it always generates more births than death can destroy, which means that humanity increases and multiplies to the point of developing the threat of extinction for itself.

A vicious cycle of creating death from too much life.

 “Be fruitful, and multiply, and replenish the earth, and subdue it,” said the Voice to our distant, obedient ancestors.

They never knew why they should end so badly.

 Every day, new lives arrive. Entire trainloads, huffing and puffing like oxen at the plow, packed with fresh, wholly innocent lives, grouped into families that are united, although worried and even ready to die. The machine has difficulty annihilating them as it should, on schedule.

 Ultimately, mere contingency, technique, organization or chance cannot be fairly incriminated. What is at work here are transcendent, insurmountable forces—humanity is just a decimal point in this colossal business.

 Where do they come from, these lives, what’s so special about them that they become the object of so many resources, so much magic?

We don’t know, we only know the extraordinary end awaits them.

 In private, the talk is fairly unanimous: apart from death, we don’t see what else could happen.

Everyone nevertheless hopes to die before the wait becomes too hard to endure.

 An entire legion, uniformed and belted, bustles around them. Losing its temper, it shouts, hits, and thrashes—too many arrivals, often poor in quality, sickly and crippled. There aren’t enough resources, there are backlogs everywhere, the commandant wants his daily quota filled, and so does the machine—otherwise it might flare up and consume the machinists and their helpers. In the end, a death is a death.

 And still more overtime.

More files to be compiled, requesting reinforcements, strong fellows able to withstand the fatigue, boredom, loneliness, cold, and rot.

 There’s no point in endlessly multiplying the engines of destruction. The most sophisticated of industries, like the most fertile of soils, is subject to the implacable law of diminishing returns.

When the goal is elimination, enough is enough.

 That’s the major hitch in the system: the most efficient organization must inevitably gear itself to the least efficient of its servants, just as the strongest chain in the world is only as strong as its weakest link.

The most hardened men can advance no faster than their children or aging parents.

 This means that, at the very end, infinity and zero come together, are the same: God who acts as the absolute master of every nook of the universe is worth no more than the most humble and wretched of his creatures.

 So that’s what eliminating the weak means: reestablishing the primal Verticality of the world order. The world belongs to the strongest. Strength is life and death, alpha and omega.

 If there were other places like this one, in other parts of the world, were they engaged in the same Great Work? What was the goal of this colossal holocaust, which god took pleasure in this worship, what human mind could find the least shred of meaning in it?

 And what about the signs? Weren’t the heavens full of them? Can people not have seen them? Not recognized them? If they saw the stars, why not the signs?

Nothing is born from a vacuum. Flesh is born of flesh, spirit of spirit. Everything has its lode.

Does an unannounced end have any meaning? Isn’t it rather the beginning of something mysterious? Vicious cycle again—the beginning is the end, and the end is the beginning.

 No one was able to answer these questions.

Probably no one asked them, or else no ear heard them.

 When no one speaks, when no one hears, there is obviously no one to see. That means that life has vanished, that men have become apes of stone.

Maybe they’ll learn to walk or fly some day.

 Let this belief be known: here in this camp was written an epilogue that sought to be a tale of commencement, the genesis of a new world. The end is the beginning, the beginning is the end.

oOo

Zoran Music bore witness to the magistery of death and life that, on this spot, at that time, enabled life and death to take root in the same body, like Siamese twins who share the same torso.

Death exists in life, and life is already death.

 Music saw everything in the camp. He sketched day and night, in secret and in fear. He drew the living as they died and the dead as they rotted, awaiting incineration.

 He worked quickly, went straight to the essential. In a few quivering lines he recorded the wound in the depth of his soul, the bottomless pain, the endless questioning.

 He was storing up enough mysteries for whatever time remained to him, enough even to bequeath some to posterity.

 Dachau is the name of that accursed place. It was not some poor factory of memories in some remote countryside, but the center of the world, the biggest slaughterhouse in human history.

 Music would paint it throughout his life. Memory of the camp is still the camp, and maybe the past truly exists only in the future.

 But painting isn’t just painting, every stroke of the brush means remembering that one day, at one timeless moment, life and death coexisted in the same body. Within that incompatible couple, life was a corpse and the corpse was a puff of smoke dissolving in the sky.

 This profound truth can only be recounted by someone who has experienced it, who has returned from it, who is able to remember and question it.

 The only person who can understand that man is someone who has gone through a similar ordeal.

Communion is possible only with one’s self: the dead speak to the dead, the living to the living, and camp survivors to camp survivors.

 Sorrow is the profound link between humans. It only exists, by the way, because humans interact, even as they live in divisiveness and rivalry.

 Someone nourished on love and compassion seeks to understand the pain of the other in order to understand his or her own, thus together transcending misfortune.

 But how can we convey the sorrow when the words to express it do not exist, or when our throats are so knotted that those words will not come out?

 To express through words—as Primo Levi, Jorge Semprun, and others did—or through painting, as Music did, is a fateful decision: expressing means clinging to the suffering. Recounting means suffering again and again, because the account can never extinguish the experience.

 For his entire life as a camp survivor, Semprun asked himself the question: literature or life?

One of his books bears that very title, summing up the survivor’s dilemma. Live or die? Forget or repeat? Speak or remain silent?

 In fact, there is no choice. You never get over it. Because you can’t forget, and you don’t forget because you cannot speak, and you do not speak because there are no words to express it. And if those words don’t exist, that’s because no one has ever recovered life and speech after death.

This sorrow is an orphan. It is related to nothing, not even to the deeds that engendered it. The chaos of the world is infinite.

 It was through muted colors that Music sought the signs to express it. He, too, wondered whether he should paint or live; he, too, realized that forgetting was impossible, and that, given the principle of continuity, suffering was the only life to which survivors can aspire.

 After a long period of deliberate insouciance—adopted as a true remedy—during which he consumed a lot of bright colors, of thoroughly assured joys and delights, Music returned to the easel of the dark days, dipping his brush in the dull pain that haunted him, that had never faded. So he painted what is not said, not seen, not heard.

 Just as there is the inexpressible, there is the invisible and inaudible.

In fact, everything escapes us; we know nothing of the great mystery of the camps. Should it therefore remain an inaccessible secret forever?

 So how can we know? How can we live?

 Who can tell us what Music has expressed in his drawings and paintings?

 Ruined lives, death, corpses, smoke, ash, shame, dried-up tears . . .

But what else? What else?

What lies beyond the how and why, beyond the before and after? What do the facts mean, in themselves?

Nothing. Knowing is not an answer.

So is ignorance essential to life?

Ignorance supposedly shields life from what? Madness, mindlessness, death?

 

Boualem Sansal

Survivor of Algerian wars and internment camps, serial number 102/35000

 

 Post-script

 As I write these lines intended for people tormented by memory of the past, a strange future has begun to dawn on earth. It will certainly be hard to live through—the first reports are terrifying.

And did we see the signs?

Those cries in the night? The distraught crowds on muddy paths and torrid asphalt? Those improvised camps in the jungle? The spiritless children marching along half asleep?  That darkness in full daylight? Those explosions of lights that glare on the horizon and threaten to extinguish the sun? Those bodies accumulating in heaps, already resembling the mountains of corpses that Music drew in terror?

 Before, in Zoran’s day, people spoke of a crazy demiurge who wanted to dominate the world.

Now, apparently, it’s God himself, in all his resuscitated glory, who is in charge. He will open the doors to his heaven to each and every one.

The future will be cosmic, eternal, and final. That’s the good news.

 In a world at last perfect, there will be nothing and no one to draw it. Only God with his heavenly host.

 It is right, brothers, to recall here and now what was, and what will be. That’s the way humans are: they’re made of memories, only memories—we must never forget that.