Galeries françaises ou internationales, étrangères ou locales…

Mon frère est docteur en lettres et écrivain, mon oncle a passé sa vie à lire et tenait une librairie, mes cousins sont enseignants… et moi je fais ce que je peux ! Mais j’ai toujours accordé du prix aux mots et au sens qu’ils revêtent…

Dans mon métier de marchand de tableaux, j’ai souvent pu constater un certain désordre lexical dès lors qu’il s’agissait, notamment, de qualifier un diffuseur au regard de sa localisation géographique et de sa portée statutaire ou économique !

Comment blâmer en la matière quand le marché de l’art est source permanente de confusion ? En effet, il est pour moi par essence :

Exogène :

Les forces extérieures y prennent souvent le pas sur les forces intérieures. Le meilleur exemple en la matière est celui donné par la place de Londres qui représente 21% des transactions mondiales (et 64% des transactions européennes), alors que la demande purement nationale y est très minoritaire. Il est vrai que la capitale anglaise est elle-même largement ouverte aux divers apports étrangers, et qu’il y a fort à parier qu’elle le demeurera malgré le Brexit !

Le nexus, point de rencontre de l’offre et de la demande, est fréquemment tout autant indépendant du lieu géographique sur lequel il s’appuie que de la nationalité des acheteurs et des vendeurs qui s’y croisent. A l’instar d’Art Basel (Bâle) ou de Tefaf (Maastricht), les grandes foires internationales organisées dans des villes qui ne sont pas des capitales mondiales en apportent une éclatante démonstration.

Contre-intuitif :

Lorsque l’on parle de marché de l’art, on se réfère volontiers aux ventes publiques pour en apprécier le poids économique. Pourtant, la part des transactions privées demeure aujourd’hui encore majoritaire avec 53% d’un gâteau mondial estimé à quelques 63,8 milliards de dollars en 2015. De même, il est à tort admis que le prix record pour un Artiste est celui mesuré aux enchères… Dans les faits, cela ne va pas de soi, et loin parfois s’en faut !

Comme pour le point qui précède, il faut se référer à la place occupée par Christie’s (7,4 milliards de dollars en 2015, dont 6,5 milliards aux enchères et 851 millions en privé) et Sotheby’s (6,7 milliards de dollars en 2015, dont 6,0 milliards aux enchères et 673 millions en privé) pour en chercher l’explication.

Asymptomatique :

Alors que le commerce mondial laisse une part de plus en plus substantielle aux transactions B to C en ligne (sans doute bientôt 10% des ventes de produits et services, avec des taux annuels de progression de l’ordre de 20%), 93% des ventes d’œuvres d’art et objets de collection demeurent physiques et leur part relativement stable sur la durée.

Par ailleurs, le recours à un intermédiaire professionnel (galerie, marchand, maison de ventes), compte tenu de la place occupée par l’expertise et de la valeur financière des échanges, est un passage obligé qui prévaut tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. L’uberisation du marché de l’art n’est pas pour demain !

Dans ce contexte incertain du point de vue lexical, qu’est-ce qu’une galerie internationale ?

On peut être une galerie à la fois française et internationale, comme on peut être une galerie étrangère et locale !

En creux, être français ne cantonne pas nécessairement au périmètre hexagonal, comme être étranger ne signifie pas obligatoirement que l’on se voue au monde !

Posséder des implantations stables à l’étranger est une piste intéressante pour qualifier une galerie concernée d’internationale, mais ce n’est pas une condition absolument nécessaire ni entièrement suffisante car la participation aux foires permet de passer outre cette obligation qui s’impose à bien d’autres secteurs de ventes au détail (notamment celui des produits de luxe). Encore faut-il avoir accès à ces foires puisque les plus importantes d’entre elles sont le plus souvent réservées aux galeries… internationales !

Art Basel accueille moins de 10% de galeries suisses. Quant à la Fiac et à Frieze, sans que n’existent de quotas, elles ouvrent de fait leurs stands à environ 25% de galeries nationales chacune, soit certes davantage en valeur relative qu’Art Basel, mais Londres et Paris sont des capitales mondiales et des scènes artistiques dont la couleur spécifique, le bruit et la saveur doivent être pris en compte par les organisateurs quand Bâle est une pure destination de la Culture et du commerce de l’Art, principalement au moment de la foire.

Une autre piste serait la nationalité des Artistes dont les galeries montrent le travail. Mais cette piste est également parcellaire puisque, plus que leur nationalité, c’est la scène dans laquelle les Artistes s’insèrent qui importe, d’une part, et que, d’autre part, les Artistes ont tous vocation à être représentés à l’étranger, hors justement les limites territoriales de leur encrage d’origine… Par conséquent, plus que les Artistes liés à la scène artistique de son pays d’implantation, une galerie internationale a surtout vocation à majoritairement montrer le travail d’Artistes internationaux, qu’ils soient d’ores et déjà avérés à ce titre, ou qu’ils possèdent le potentiel pour y prétendre. Comment déceler ce potentiel est un autre débat, et pas forcément l’apanage des seules galeries… internationales !

Une dernière piste est incontestablement celle de la demande. Une galerie internationale a en effet vocation à conquérir des acheteurs (collectionneurs particuliers et/ou institutions publiques et privées) dans le monde entier. Mais encore une fois, pour une galerie, et sauf exceptions notables de rares diffuseurs qui, par la puissance de leur marque et/ou de leur réseau d’implantations à l’étranger, auraient réussi à s’affranchir (relativement !) des grandes foires internationales, le prix de cette conquête est le plus généralement à acquitter auprès de ces dernières.

En résumé, une galerie internationale, au-delà du lieu principal ou d’origine depuis lequel elle opère ou dont elle est issue, est une galerie qui montre le travail d’Artistes internationaux (ou qui ont vocation à le devenir), qu’elle vend à des acheteurs internationaux, grâce notamment à l’accès que lui confère les foires internationales auxquelles elle participe…

La question-clef, et qui reste en suspens, est la suivante :

Que faut-il faire quand on est une galerie dont la vocation est internationale pour participer aux foires internationales, et ainsi provisoirement conquérir ce statut tant convoité, et dont il ne faut jamais oublier qu’il est par nature précaire … ?

 

Source des chiffres : Tefaf Art Market report 2016 / Arts Economic / Clare McAndrew